
Le schéma de conciliation de la production de neige de culture avec les milieux et les autres usages de la ressource en eau
Par Graziella DODE
Avocat
Green Law Avocats
Posté le: 17/08/2013 15:41
Encadrer les usages de l’eau, afin de les rationaliser et de les coordonner, est une nécessité afin de protéger la ressource en eau et d’atteindre un objectif fondamental : sa gestion « équilibrée et durable » imposée par la directive cadre sur l’eau (DCE) du 23 octobre 2000 d’ici à 2015.
Une telle gestion de la ressource, dans le cadre de la création des réseaux de neige de culture (neige artificielle) dans les stations de montagne, répond au régime général de la législation sur l’eau, appuyée par des outils de planification. Ces outils doivent permettre d’atteindre les objectifs environnementaux établis par la DCE pour une gestion intégrée de la ressource en eau.
En intégrant l’activité de production de neige de culture dans leur planification, les outils de planification constituent un moyen de conciliation de cette activité avec les usages prioritaires de la ressource en eau, tels que l'alimentation en eau potable.
Il convient de consacrer quelques propos préalables au cadre général de la planification de la production de neige de culture (I) afin de comprendre l’intérêt du schéma de conciliation mis en place (II).
I. Le cadre général de la planification de l’activité de production de la neige de culture
La loi sur l’eau de 1992 instaure une planification à deux niveaux avec les schémas directeurs d’aménagement de la ressource en eau (SDAGE) (articles L. 121-1 à L. 212-2-3 et R. 212-1 à R. 212-25 C. envir.) et les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE).
Les évolutions intervenues avec la directive-cadre ont conduit à adapter la planification française aux nouvelles exigences. La loi n° 2004-338 du 21 avril 2004 transposant la directive cadre a enrichi le contenu de ces instruments, de même que leur portée a été renforcée par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA).
Les projets d’enneigement doivent prendre en compte les dispositions des SDAGE afin de prévenir toute dégradation supplémentaire de l’eau et des écosystèmes aquatiques, mais aussi de promouvoir une gestion durable de l’eau en application de la DCE.
Les SDAGE des bassins Rhône-Méditerranée et Adour-Garonne prévoient des dispositions spécifiques relatives aux installations d’enneigement "artificiel", tant en ce qui concerne la gestion de la ressource en eau et son partage, anticipant l’avenir, que la protection des zones humides de montagne.
Ces SDAGE sont relayés au niveau local par d’autres outils de planification dont les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) (articles L. 212-3 à L. 212-11 et R. 212-26 à R. 212-48 C. envir.). Tel est l’exemple du SAGE Drac-Romanche, adopté le 27 mars 2007 par la Commission locale de l’eau (CLE) du Drac et de la Romanche, qui prend en compte de manière plus précise l’activité de production de la neige de culture dans le partage de l’eau. Il prévoit ainsi une coordination des acteurs et la définition de règles encadrant la réalisation de retenues d’altitude et leur gestion.
Cette action a été formalisée via le Schéma de conciliation de la production de neige de culture avec les milieux et les autres usages de l’eau (alimentation en eau potable, hydroélectricité, agriculture, activités nautiques…).
II. Le schéma de conciliation de la production de neige de culture avec les milieux et les autres usages de la ressource en eau du SAGE Drac-Romanche
Le schéma de conciliation de la production de neige de culture avec les milieux et les autres usages de l’eau est une opération pilote en France qui a été réalisée par les stations de ski des départements concernés. La CLE, le Conseil général, les stations de l’Oisans, du Vercors, de Chartreuse et de Belledonne et le Commissariat à l’aménagement des Alpes (DATAR), ont travaillé en partenariat étroit pour mener cette action.
Le principe de cette démarche est double : il s’agit de coordonner les projets de retenues d’altitude et d’éviter les risques de manque d’eau ou de destruction de milieux ou d’espèces de grande valeur. Pour ce faire, le schéma prévoit de laisser aux communes et aux exploitants la responsabilité de décider de la nécessité, ou non, de construire des retenues d’altitude pour stocker l’eau destinée à l’alimentation des enneigeurs ; et de prévoir, à partir d’analyses précises effectuées pour chaque station, un cadre évitant une multiplication non coordonnée des prélèvements d’eau, le manque d’eau potable à certaines périodes critiques de l’année et la destruction de milieux ou d’espèces à protéger.
Cet outil permettra à l’Etat, aux communes, aux stations et à la CLE du Drac et de la Romanche d’apprécier la compatibilité des projets de retenues avec l’intérêt à long terme du territoire.
Chaque schéma de conciliation est composé de trois éléments :
- Une étude des prélèvements actuels et futurs destinés à la neige de culture, réalisée par station dans les massifs de l’Oisans, du Vercors, de Belledonne et de Chartreuse ;
- Une analyse des enjeux économiques autour de chaque domaine skiable : investissements, équipements du domaine en neige de culture, chiffre d’affaire hivernal et estival, lits touristiques, fréquentation, emploi, retombées économiques ;
- Un guide permettant de préciser les projets de retenue d’altitude et d’établir leur dossier de demande d’autorisation ou de déclaration conçu pour aider les maîtres d’ouvrage à organiser leurs démarches auprès des administrations et à cadrer les premières études techniques et reconnaissances qu’ils devront mener.
La démarche dure en moyenne 18 mois, et comprend les étapes suivantes :
- Deux à trois mois pour l’étude préliminaire de faisabilité ;
- Deux mois pour l’instruction du dossier de déclaration éventuel par la Direction départementale des territoires (DDT) ;
- Un an pour la réalisation des études préalables et de conception ;
- Quatre mois pour la rédaction du dossier réglementaire, à initier lors de la finalisation de la phase de conception.
Par ailleurs, les schémas devront prendre en compte les enjeux suivants :
- La surveillance des effets de la retenue sur les milieux naturels ;
- La surveillance des autres besoins en eau, pour assurer la primauté de l’usage de l’alimentation en eau potable ;
- La surveillance des ouvrages et les moyens d’intervention en cas de danger, d’incident et d’accident ;
- Des mesures de réduction des impacts, par exemple la valorisation paysagère des abords de la retenue ;
- Des mesures compensatoires, telles que la restauration de zones humides à raison de 2 m2 pour 1 m2 détruit, conformément au SDAGE Rhône-Méditerranée.
La station des Deux Alpes, située dans le périmètre du SAGE Drac-Romanche a été la première à se doter de ce type de schéma en décembre 2009. L’étude d’ingénierie établie dans ce cadre révèle ainsi l’absence de tout conflit d’usage lié à la ressource en eau sur la station. Sur le domaine skiable de cette station, la production de la neige de culture est conciliée avec les autres usages de la ressource en eau, tels que l’alimentation en eau potable qui est prioritaire, mais également avec les milieux naturels. En raison des enjeux considérables de destruction des milieux par les travaux d’aménagement des réseaux de neige de culture, le schéma de conciliation subordonne ces aménagements à la prise en compte des zones protégées réglementairement (réserves naturelles, zones Natura 2000 etc.) et des zones présentant des enjeux environnementaux ou sanitaires importants (zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF), zones d’alpage etc.).
Le schéma de conciliation apparaît efficace pour le développement des installations de neige de culture car il permet d'éviter les conflits d’usage de la ressource en eau et garantit la protection des milieux naturels. Son développement nous semble donc souhaitable. La Savoie a d’ailleurs déjà décidé de mettre en place cet outil de planification.