
La loi du 13 juillet 2011 relative à l’exploration et à l’exploitation des gaz de schiste soumise à une QPC
Par Marion ZALOGA
Juriste QSE - Chargee Veille Reglementaire
SNCF - Technicentre Atlantique
Posté le: 13/08/2013 18:18
Le 6 juin 2013, le député Christian Bataille et le sénateur Jean-Claude Lenoir ont présenté le rapport d’étape sur « les technique alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste », après la demande faite le 14 novembre 2012, à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), de l’Assemblée Nationale. Il s’agit en réalité d’un état des lieux de ces technologies. L’intérêt de ce rapport semble résider dans les techniques alternatives proposées par ce dernier, dans la mesure le recours à la technique de la fracturation hydraulique a été interdit par la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011. La fracturation hydraulique est, plus précisément, un moyen utilisé pour fissurer et extraire des roches les hydrocarbures conventionnels et non conventionnels (dits gaz de schiste). Ce rapport vise en effet d’autres modes de recherche et d’exploitation du gaz de schiste qui ne sont, quant à eux, pas interdits à l’heure actuelle. Cette tolérance est du au fait que ces techniques semblent respectueuses de l’environnement, et qu’elles permettent essentiellement de procéder à une évaluation des ressources contenues dans le sous-sol français, et de tenter d’en définir une exploitation appropriée. Il est en effet question d’une étude géologique, plus qu’une exploitation d’ordre pétrolière. Toutefois, ceci reste une thématique sujette à débat, tant sur le plan environnemental que visuel, même si les recherches autour de ce sujet ont bel et bien repris.
Ce rapport se décompose en deux parties : « les ressources en hydrocarbures : miracle ou mirage » et « des technologies d’extraction diverses et évolutives ». On retrouve dans cette seconde partie, des méthodes comme la fracturation hydraulique avec d’autres fluides que de l’eau (comme le propane a par exemple, même si celui-ci reste très inflammable), des procédées électriques, ou encore des procédés thermique, qui tendent à être étudiées.
Parallèlement à ces réflexions sur les techniques d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste, un contentieux administratif portant sur l’annulation en 2011, pour une société, de permis relatifs à la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique (I), a conduit le Conseil d’Etat a transmettre au Conseil constitutionnel (III), une question prioritaire de constitutionnalité (II).
I. L’ordonnance du 19 mars 2013 transmise par le tribunal administratif
Il ne peut être ignoré que certaines réticences demeurent quant à la question de la fracturation hydraulique. En effet, outre les divers débats et lobbys, ceci peut être observé à travers une ordonnance du 19 mars 2013, transmise par le tribunal administratif de Cergy Pontoise (Val-d’Oise). Cette dernière a transmis une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) au Conseil d’Etat sur cette thématique litigieuse. Il était alors question dans l’espèce soumise au tribunal administratif de Cergy Pontoise, d’une société américaine contestant deux arrêtés ministériels du 12 octobre 2011 abrogeant des permis de prospection relatifs à la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique (JORF n°0162 du 14 juillet 2011). Autrement dit, l’annulation de permis exclusifs de recherche de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux dits non-conventionnels ou de schiste, accordés à la société avant l’adoption de la loi. Au regard de ces abrogations, la société avait estimé que la loi de 2011 était contraire à la Constitution du 4 octobre 1958 et plus précisément aux principes d’égalité et de propriété qu’elle garantit. Et c’est au cours de l’instance que s’est alors posé la question de la constitutionnalité de la loi de 2011.
II. Les conclusions du rapporteur public du Conseil d’Etat du 26 juin 2013
Au regard de cet espèce et de la question qui lui a été soumise, le rapporteur public du Conseil d’Etat a décidé dans ses conclusion du 26 juin 2013 de demander le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, relative à l’interdiction des mines d’hydrocarbures et de la fracturation hydraulique, au Conseil Constitutionnel. Plus précisément, le rapporteur prônait le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel pour application excessive de l’article 5 de la Charte de l’environnement qui régit le principe de précaution, principe selon lequel « en cas de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement » (Déclaration de Rio – principe 15, de 1992). Il est de préciser que la précaution vise les risques dont ni l’ampleur ni la probabilité d’occurrence ne peuvent être calculés avec certitude, compte tenu des connaissances du moment.
Le rapporteur du Conseil d’Etat a également souligné une absence d’évaluation des risques de la fracturation hydraulique, ainsi que l’absence, dans la loi de 2011 d’une interdiction temporaire de cette technique.
Compte tenu de ces manquements, le rapport a estimé de ce fait que la présente espèce répondait aux exigences de l’article 61-1 alinéa 1 de la Constitution (issu de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008), selon lequel « lorsqu’à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». Autrement dit, le rapport du 26 juin 2013 donnait ouvre le droit à une question prioritaire de constitutionnalité. Il est à noter que ce droit est reconnu à toute personne partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés de la Constitution du 4 octobre 1958 garantit.
Pour que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, la loi organique du 10 décembre 2009, relative à l’article 61-1 de la Constitution est venue préciser que les conditions de saisine sont au nombre de trois. Tout d’abord, la disposition législative critiquée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites. En l’espèce, le litige portait sur des questions de fracturation hydraulique, thème de la loi de 2011 critiquée. Ensuite, la disposition législative critiquée ne doit pas déjà être déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le rapporteur sur ce point a affirmé que cette notion n’a jamais été soumise au Conseil constitutionnel, pour en vérifier sa conformité et son adéquation avec les dispositions de la Constitution. Enfin, la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux. Sur ce point, le rapporteur du Conseil d’Etat s’offre à dire que la question est nouvelle. Toutefois, selon lui, elle ne comporte pas un caractère sérieux suffisant du fait que la question des principes de propriété ont été pris en considération lors de la rédaction de la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.
III. L’arrêt du Conseil d’Etat du 12 juillet 2013 portant la transmission de la QPC au Conseil Constitutionnel
C’est alors dans ce contexte que s’est prononcé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 12 juillet 2013, décidant de suivre les recommandations du rapporteur public. Ce dernier a alors transmis la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel pour application excessive de l’article 5 de la Charte de l’environnement qui régit le principe de précaution et pour atteinte aux principes constitutionnels d’égalité et de propriété. Le Conseil d’Etat reprend alors les mêmes conditions de recevabilité de la QPC, qu’il confirme, à l’exception près, qu’il considère que cette question présente un caractère sérieux (contrairement à ce qu’avait pu justifier le rapporteur public). De ce fait, et puisque les conditions de recevabilité sont remplies, il incombe, selon la Haute juridiction administrative, au Conseil constitutionnel « de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi dans un délai de 3 mois » (c'est-à-dire pour la mi-octobre 2013). Précisément, le Conseil constitutionnel devra rendre son avis sur l’article 1 de la loi du 13 juillet 2013 relatif à l’interdiction d’exploitation des mines d’hydrocarbures par fracturation hydraulique et sur l’article 3 visant à abroger les permis de recherche ayant recours à cette technique.
Il est à noter que, même si la loi a interdit ce type de technique en 2011, certains pétroliers, avant cette date, s’étaient déjà vu accorder des plusieurs permis d’exploitation (aujourd’hui annulés). Ainsi, il est de considérer que si la loi sera considérée en octobre prochain inconstitutionnelle, ces permis retrouveraient alors leur validité. Ceci pourrait alors potentiellement correspondre à une insécurité juridique. Et ce, alors que le gouvernement actuel reste fermement opposé à l’exploitation du gaz de schiste. Les conclusions du Conseil constitutionnel sur la question restent alors très attendues.