Parmi les usages de l’eau en montagne, l’on recense l’alimentation en eau potable, la production d’hydroélectricité, le débit réservé pour la faune et la flore aquatique, l’irrigation en piémont, les sports d’eau vive et la neige de culture. Il ne peut y avoir de laissés pour compte dans ce partage de l’eau. Toutefois, s’agissant des usages de l’eau en station de montagne, l’utilisation de la ressource en eau pour la production de la neige de culture est particulièrement intéressante au vu de son développement conséquent ces dernières années.

L’essor de l’activité de production de neige de culture (II) semble une réponse au réchauffement climatique qui affecte les territoires de montagne (I).



I. Le réchauffement climatique, une menace pour les territoires montagnards


Qualifiées de « châteaux d’eau de la planète », les montagnes revêtent un intérêt particulier au regard de la ressource en eau. Elles constituent une source d’eau précieuse car elles apportent une contribution essentielle au débit de tous les grands fleuves européens qui y prennent leur source.
Les massifs montagneux représentent 25% de la surface du territoire national français et 35% du territoire européen. Ils ont un régime nivo-glaciaire, caractérisé d’une part, par des précipitations sous forme de neige pendant la période froide, permettant une limitation naturelle des écoulements et des inondations en automne et hiver, et d’autre part, un déstockage pendant la période chaude, avec la fonte des neiges et des glaciers, permettant d’alimenter les étiages estivaux, principalement en aval, dans les grandes plaines. Entre le printemps et l’été, la fonte des neiges et des glaciers des Alpes françaises représente environ 15.000 milliards de m3 par an qui viennent en soutien d’étiage. La neige accumulée en montagne, les glaciers et les petites calottes glaciaires jouent un rôle crucial dans l’approvisionnement en eau douce des zones de plaine. D’où l’intérêt d’une bonne gestion de la ressource en amont afin d’assurer son utilisation pérenne dans les vallées de l’aval.

Reste qu’aujourd’hui, les montagnes sont les principales victimes des effets du réchauffement climatique. Selon le quatrième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les régions montagneuses devront faire face tout au long du XXIe siècle au recul des glaciers, à la réduction de la couverture neigeuse et du tourisme hivernal, ainsi qu’à la disparition de nombreuses espèces. D’après les données satellites recueillies depuis 1980 par le GIEC, les glaciers et la couverture neigeuse occupent une moins grande superficie dans les deux hémisphères de la planète. Sur le territoire français, les glaciers alpins ont déjà perdu entre 20 et 30% de leur volume et pourraient régresser encore de 30 à 70% d’ici à 2050. Quant aux glaciers des Pyrénées, ils ont déjà perdu 80% de leur surface.

L’enneigement sur l’ensemble des massifs montagneux a ainsi diminué de façon significative. Le rapport fait état d’une diminution du nombre de jours de couverture de neige de 40% au nord-ouest des Alpes et de 70% au sud-est. Les chutes de neige se réduiraient de – 36% en moyenne et de – 20% au-dessus de 1.500 mètres. La fonte des neiges pourrait se produire deux mois plus tôt et il n’y aurait quasiment plus de chutes de neige en dessous de 500 à 600 mètres d’altitude.

L’augmentation des températures, et la transformation consécutive de précipitations neigeuses en pluies, va avoir une influence sensible sur le ruissellement et le stockage de l’eau en altitude, et donc sur les débits restitués en été. Ces modifications affecteront les montagnes elles-mêmes mais auront des répercussions pour les régions situées en aval. Cela modifiera les caractéristiques saisonnières de l’écoulement dans les régions approvisionnées en eau de fonte provenant des principaux massifs montagneux, où vit actuellement plus d’un sixième de la population mondiale.

Ainsi, le tourisme hivernal, fondé sur le ski, deviendra difficile à assumer en moyenne montagne, engendrant des pertes économiques pour les communes et les entrepreneurs, créant une demande encore plus forte de séjours dans les stations situées à de plus hautes altitudes.


Face à ce constat, les stations de montagne ont développé massivement l’activité de production de neige de culture (II).



II. Le développement des activités de production de neige de culture dans les stations de montagne


Les premiers essais d’enneigement artificiel ont eu lieu à New York aux Etats-Unis dans les années 50, après avoir constaté quelques années plus tôt en Californie l’apparition de neige lors de l’utilisation de ventilateurs pour arroser les vergers afin de les protéger du gel. En France, le premier canon à neige apparaît en 1973 à Flaine et la technique se développe à plus grande échelle en Europe dans les années 80. La production de l’or blanc était à l’origine considérée comme un luxe permettant aux skieurs de regagner la station les skis au pied ou pour améliorer certains passages de pistes.

Le développement des équipements de production de neige de culture s’est généralisé depuis les années 90 dans les stations de sports d’hiver.
Aujourd’hui, la neige de culture représente en France 15 à 20 millions de m3. Elle assure l’enneigement de la plupart des pistes de la mi-décembre à la mi-avril. Elle est répandue en une couche de 60 cm en moyenne sur les pistes équipées, contre 5 mètres en moyenne de neige naturelle, sur 0,04% de la surface occupée en montagne. Situés généralement en-dessous de 2.000 mètres, les enneigeurs sont implantés de plus en plus en altitude. Très plébiscitée par les stations de sports d’hiver, la neige de culture garantit surtout la viabilité économique de ces stations dépendantes du tourisme. Cette neige fabriquée est un investissement (en moyenne annuelle, le coût de ces investissements représente 46 millions d’euros en France (MEEDAT, 2009) rentable car il constitue une assurance contre les pénuries temporaires ou localisées de la neige naturelle, permettant aux exploitants de domaines skiables de répondre à la demande de confort des skieurs.

Mais, même si à la fonte des neiges, les volumes utilisés retournent au milieu naturel, ce déploiement de « canons à neige » ne se fait pas sans répercussion sur la ressource en eau, comme le soulignent les associations de protection de l’environnement. Ces installations consomment d’importantes quantités d’eau à l’époque de l’étiage d’hiver (janvier-février), quand les besoins en eau dans les communes touristiques sont aussi au plus haut avec l’arrivée en masse des touristes. La neige de culture a également des impacts sur les paysages et la biodiversité. La controverse relative à l’utilisation d’adjuvants dans sa fabrication semble néanmoins achevée. La production de neige de culture pourrait même être un remède au réchauffement climatique selon les élus locaux. Outre son utilisation pour le tourisme, en la dispersant sur les glaciers, elle pourrait compenser la réduction de leur superficie, avancent-ils. Sans parti pris, tentons de comprendre comment elle est encadrée aujourd’hui en droit interne.

La production de la neige de culture n’a pas de réglementation autonome, le droit commun s’applique. L’eau blanche est fabriquée à partir de la ressource en eau. Elle résulte de prélèvements directs dans la ressource en eau, de prélèvements dans des retenues d’altitude construites pour le stockage de l’eau, ou de barrages hydroélectriques. Ces prélèvements soumettent les réseaux de neige de culture à loi sur l’eau. Cette réglementation s’est renforcée depuis l’adoption de la directive cadre sur l’eau par l’Union européenne. Elle impose désormais à l’ensemble des Etats européens des objectifs environnementaux afin de parvenir à une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. Les usines à neige doivent également satisfaire à la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Enfin, l’ensemble des équipements de protection de neige de culture est soumis aux règles d’urbanisme. Les installations de neige de culture doivent satisfaire aux documents d’urbanisme – SCOT (Schéma de cohérence territoriale), PLU (Plan local d’urbanisme) et cartes communales – lesquels doivent être compatibles avec les décisions administratives relatives à l’eau.



Les réglementations et les usages de la ressource en eau en montagne sont donc nombreux. Entre intérêt général et intérêt privé, préservation de l’environnement et développement économique, la compétition entre les différents usages de la ressource en eau devrait être de plus en plus vive avec les aléas climatiques et la réduction des disponibilités en eau, multipliant les conflits d’usage de la ressource.

Dès lors, comment concilier la production de la neige de culture et les autres usages de la ressource en eau dans les stations de montagne ?