En effet, jusqu’à présent, existait une discordance entre la conception du juge communautaire et celle du juge français à ce niveau : le droit communautaire, depuis 2002, n’attache à la qualité de résidu qu’une simple présomption de qualification de déchet, qui tombe lorsque le résidu est destiné à être utilisé de manière certaine, sans transformation préalable et dans la continuité d’un processus de production (conditions cumulatives posées par l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 18 avril 2002, Palin Granit Oy). Le juge communautaire a donc comblé, dès 2002, un vide juridique important : celui des sous-produit (c’est un résidu de production ne constituant pas un déchet).
Du côté français, la démarche a été laborieuse car la jurisprudence avait tendance à considérer systématiquement, jusqu’à des arrêts récents, dont celui du 21 octobre 2008 qui représente un véritable aboutissement, que le résidu était nécessairement un déchet. Il lui a donc fallu faire des efforts pour trouver des critères permettant de faire échapper un résidu de production à une telle qualification.

Le premier arrêt fondateur en la matière est l’arrêt René Moline (Cour de Cassation, 13 mai 1983) dans lequel la société du même nom soutenait que ses huiles usagées n’étaient pas destinées à l’abandon mais à la valorisation et que, dès lors, elles ne pouvaient être qualifiées de déchet au sens de l’article 1 de la loi du 15/07/1975, aujourd’hui codifié à l’article L.541-1 selon lequel doit être considéré comme déchet « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon ».
Le Conseil d’Etat répond que ces huiles, dont on ne peut nier qu’il s’agit de résidu de production, « (…) devaient être regardées comme des déchets, dès lors qu’elles n’ont pas fait l’objet d’un traitement en vue de leur régénération et alors même que leurs détenteurs auraient l’intention de les céder en vue de leur vente et non de les destiner à l’abandon. »

Pour le juge administratif, un résidu est donc un déchet, peu importe son sort ultérieur, et donc peu importe que ce déchet puisse faire l’objet d’une valorisation.

Cette position du juge français empêche de prendre en compte le fait qu’un résidu de production puisse rester dans le circuit de production et de commercialisation et, ainsi, avoir une valeur marchande, d’où la nécessité de rechercher des pistes pour « extraire » le résidu de la catégorie « déchet » où il est systématiquement jeté et, ainsi, le faire entrer dans la catégorie des sous-produits.

Au niveau communautaire, l’émergence de la catégorie « sous-produit » a été rendue possible grâce à l’acception particulière du terme « résidu » : le juge communautaire définit le résidu comme une matière qui n’a pas été recherchée comme telle (CJCE, 15 juin 2000, Arco Chemie). Il se place donc sous un angle subjectif : si une matière a été produite délibérément, alors il s’agit d’un sous-produit, par contre si elle n’est pas issue d’un choix volontaire, alors elle est rangée dans la case « résidu de production ».
A l’inverse, le juge français envisage le résidu comme « ce qui reste » (CE, 23 mai 2001, Adepal), donc il n’y a rien de subjectif ici : ce qui reste est qualifié de résidu et tout résidu doit être qualifié de déchet, donc ceci ne permets pas d’exclure de la catégorie déchet des résidu tels que les débris de pierre, les chutes de façonnage, qui sont susceptibles d’avoir une réelle valeur économique.

D’où la nécessité pour le juge français de modifier le sens du terme « résidu » pour se rapprocher de la conception qui en est faite au niveau communautaire et de commencer à rechercher des critères permettant de déqualifier un résidu. Un effort d’interprétation du mot « résidu » s’impose.

Le premier pas a été franchi par l’arrêt ADEPAL précité du 23 mai 2001, dans lequel on se demande quelle qualification attribuer à l’uranium appauvri : est-ce un déchet ? Monsieur Lamy, commissaire du gouvernement, rappelle que l’uranium appauvri est « ce qui reste une fois réalisé le traitement de l’uranium naturel, une fois qu’on en a extrait l’uranium enrichi ». Cet uranium appauvri est destiné à servir de combustible dans les centrales nucléaires. Monsieur LAMY considère « (…) qu’il faut tenir compte de la particularité de l’uranium : il a en effet vocation à être réutilisé – ou à être stocké comme une réserve stratégique de matière première - donc à resservir dans le même processus industriel que celui dont il est issu afin de servir lui-même de combustible nucléaire. » Il ne peut donc être considéré comme un déchet car ce produit reste une matière première comme l’uranium dont il est issu.
Le Conseil d’Etat suit Monsieur LAMY et juge que « l’oxyde d’uranium appauvri n’a pas la caractère d’un résidu mais celui d’un produit obtenu à un stade intermédiaire d’un processus de transformation ». Le Conseil d’Etat énonce cela alors même que les trois conditions posées par l’arrêt Palin Granit Oy ne sont pas toutes respectées : l’uranium appauvri est effectivement réutilisé dans la continuité du processus de production mais sa réutilisation est incertaine et nécessite en tous les cas un processus de transformation préalable (l’enrichissement). Le juge français est donc moins exigeant que le juge communautaire au niveau des critères permettant de déqualifier un résidu de production.

Par contre, le combustible nucléaire usé est considéré comme déchet, parce que, selon l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 décembre 2005, Cogema, le combustible irradié en question « (…) était destiné uniquement à un traitement terminal [et] ne pouvait être considéré comme un produit obtenu à un stade intermédiaire d’un processus de transformation (…), la seule qualification qui lui était applicable était celle de déchet au sens de l’article L.541-1 du Code de l’environnement ».

Le critère de réutilisation du résidu constitue donc, pour la Cour de cassation, un critère de déqualification déterminant, puisqu’un résidu destiné à être réutilisé dans un processus de production n’est pas un résidu mais un « produit obtenu à un stade intermédiaire d’un processus de production ».
Le juge français retient donc seulement une des trois conditions adoptées par le juge communautaire dans son arrêt Palin Granit Oy de 2002 pour déqualifier le déchet. Ceci demeure donc en contradiction avec le droit communautaire, jusqu’au 21 octobre 2008, date à laquelle le juge français se réfère pleinement aux trois conditions posées par l’arrêt Palin Granit et exige que ces dernières soient cumulativement respectées pour déqualifier un résidu de prodcution.
En l’espèce, il s’agit de la Communauté d'agglomération de l'ouest de l'étang de Berre (la CAOEB) qui exploite un centre technique d'enfouissement de déchets urbains et de résidus industriels et qui utilise, pour constituer des talus de séparation entre les zones de stockage de ces déchets et pour recouvrir ces derniers, des produits dits inertes, constitués par de la terre et des matériaux de construction, qu'elle se procure auprès de tiers. L’administration a estimé que la CAOEB était redevable, pour ces produits inertes, d’une somme au titre de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) pour les années 2001 et 2002. L'administration des douanes a donc dressé à son encontre un procès-verbal de constatation d'infraction douanière de fausses déclarations de quantité de déchets réceptionnés puis a émis contre elle un avis de mise en recouvrement de cette somme. La CAOEB conteste et fait valoir que les produits inertes ne constituent pas des déchets au sens de la loi française ou de la réglementation européenne et ne sauraient être ainsi soumis à la TGAP, dès lors que ne sauraient revêtir la qualité de déchets des substances non abandonnées par leur détenteur, la CAOEB, mais dont la réutilisation, certaine, lui apporte un avantage économique.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence répond que la réutilisation du résidu est sans incidence sur sa qualification de déchet, seul importe l’abandon par le détenteur dudit résidu. Peu importe que celui-ci soit réutilisé par un autre, cette circonstance ne modifiant pas la qualification qu’il revêt depuis l’abandon dont il a été l’objet.

La Cour de cassation, face à cet arrêt attaqué, se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (arrêts du 18 avril 2002, Palin Granit ; du 11 septembre 2003, Avesta Polarit Chrome; du 11 novembre 2004, Niselli et, du 18 décembre 2007, Commission/Italie) et énonce qu’en vertu de ces jurisprudences « (…) échappent à la qualification de déchets les résidus de production, qui ne sont pas directement recherchés par le processus de fabrication, lorsque leur réutilisation est certaine, sans transformation préalable et dans la continuité du processus de production. »
La Cour de cassation reproche à la Cour d'appel de ne pas avoir recherché si, en l'espèce, les produits litigieux remplissaient les conditions posées par l’arrêt Palin Granit Oy en 2002.

Cette décision est heureuse parce que le juge français, en reprenant les critères posés par l’arrêt Palin Granit Oy, se situe au même niveau d’exigence que le juge communautaire en matière de protection de l’environnement, ce qui n’était pas le cas lorsque la jurisprudence ne retenait qu’un seul de ces critères pour parvenir à déqualifier un résidu de production (il ne retenait en effet que la réutilisation du résidu dans la continuité d’un processus de production). Le juge français a fait un véritable effort pour quitter sa conception restrictive initiale du résidu de production et s’aligner sur celle du juge communautaire. Ceci permettra de reconnaître pleinement aux résidus qui remplissent les conditions posées une valeur économique. Cet arrêt annonce donc la fin de la classification traditionnelle « déchet/produit » et fait place à une qualification plus nuancée : celle de sous-produit.