D’apparence ultra spécialisé et dénué du raffinement que possèdent parfois les problématiques de droit de l’environnement, « Le droit du transport du gaz naturel » est un sujet qui laissera peut être le néophyte distant. Pourtant, loin d’être une matière impénétrable, « le droit du transport du gaz naturel » étonne par ses similitudes avec le régime des ICPE, son caractère hybride entre le droit privé et le droit public, son abondance de sources. Il passionne par son interdépendance avec l’Histoire et la Géopolitique. Afin d’en convaincre le profane, cet article propose une approche préliminaire de la matière, en se posant la question de l’existence même de la branche.

A l’heure actuelle, le « droit du gaz naturel » n’est pas une branche du droit reconnue par la doctrine. Cependant, l’existence d’un corpus de textes, de réglementation et de décisions de jurisprudence applicables à ce secteur permet de nuancer le postulat. Parmi ces textes, certains sont également applicables au secteur de l’électricité, d’autres également applicables au secteur des hydrocarbures, et certains présentent seulement de fortes similitudes avec l’une ou l’autre de ces activités. Cet ensemble juridique a la particularité d’exister de facto, en réponse à la création et aux évolutions de l’industrie énergétique gazière. C’est en ce sens qu’il existe un droit du gaz, au même titre que l’on parle depuis quelques années du droit des mines ou du droit du sport.

Il est vrai que le droit de l’électricité et le droit du gaz naturel s’analysent souvent ensemble du fait des circonstances historiques de centralisation industrielle entourant la loi de nationalisation de l’électricité et du gaz du 8 avril 1946. Cependant, le droit du transport du gaz naturel offre une spécificité, étant une activité industrielle plutôt récente (~1920 avec la création des premiers réseaux de transport régionaux) contrairement au transport de l’électricité (~1880) qui est ancré dans le paysage industriel depuis longtemps.

Cette matière qui colle à la réalité des risques juridiques engendrés par l’industrie du gaz, pourrait se sous-sectionner en plusieurs branches correspondant aux activités opérationnelles du secteur. Ainsi, le droit du gaz comprend : le droit de la production du gaz, le droit du transport du gaz, le droit de l’exploitation du gaz, le droit de la distribution et de la fourniture du gaz, le droit du stockage du gaz. Ces sous-sections correspondent d’ailleurs aux différentes branches de l’entreprise GDF Suez.



Un droit carrefour

Cette matière comprend des éléments issus notamment du droit administratif, du droit civil, du droit commercial, du droit pénal, du droit des collectivités territoriales, du droit rural et forestier, du droit de l’expropriation, du droit de la responsabilité civile et du droit des sociétés. Pour reprendre une formulation déjà utilisée en matière de nucléaire il n’y a pas une spécificité du droit, il y a simplement une spécificité du gaz.
Le droit du transport du gaz naturel est lui-même un fouillis hétérogène et désorganisé, mais tend à s’harmoniser depuis la réforme issue de l’arrêté multifluide du 4 août 2006. Reste que le droit spécifique du transport du gaz et le droit commun s’entremêlent, de la même manière que le fait le droit des ICPE qui est d’ailleurs très proche dans sa philosophie.


Un droit épars

Les sources sont multiples et variées et se retrouvent dans les Codes du droit commun, ainsi que dans le Code de l’énergie, le Code de l’environnement, et très souvent, concernant l’ancien régime, dans les arrêtés ministériels à destination des grandes entreprises du gaz qui délivraient des concessions, des droits d’occupation de domaine public emportant autorisation de construire et d’exploiter les canalisations ; et qui aujourd’hui sont remplacés par des arrêtés préfectoraux. De surcroit, certaines circulaires ou instructions ministérielles n’ont jamais été publiées officiellement, mais elles existent et sont utilisées dans la pratique. Cela donne un ensemble de textes pris les uns à la suite des autres, parfois sans cohérence. Cette situation a contribué à la réforme du régime précedemment évoquée.


Un droit nécessairement communautaire

Cette matière est plus qu’imprégnée du droit de l’Union Européenne puisqu’elle est le fruit de la construction européenne qui a choisi l’économie de marché. Le droit de l’Union Européenne et ses institutions pénètrent de plus en plus le droit du gaz du fait de la multiplication de directives européennes propre à ce secteur. Elles concernent aussi bien la transparence des prix que l’ouverture du marché, mais l’on retrouve aussi les directives générales comme celles concernant la protection de l’environnement qui s’applique non spécifiquement au secteur du gaz, mais qui le concerne de facto.


Un droit pragmatique

Dans les faits, les sources de droit utilisées par le praticien sont surtout les circulaires, les instructions ministérielles, les protocoles, les avis (du Conseil d’Etat, de la CRE, du Conseil de la concurrence…) les décisions, les recommandations, les propositions et la jurisprudence éclairant cette application, ainsi que les normes techniques . Le fait qu’une importante source de ce droit est la jurisprudence administrative et la jurisprudence judiciaire illustre le caractère pratique de cette matière. La jurisprudence administrative couvre les litiges liés à l’installation et l’exploitation des canalisations de transport qui sont des ouvrages affectés à un service public. La jurisprudence judiciaire concerne principalement toutes les atteintes à la propriété privée : les expropriations, les indemnisations des servitudes d’utilité publique. La jurisprudence du Tribunal des conflits règle tous les problèmes de frontière entre les deux blocs de compétence.


Un droit contradictoire

Contradictoire parce que dans son orientation première, il prend en compte la sécurité des personnes et des biens mais aussi des préoccupations évolutives et parfois contradictoires, du moins difficilement conciliables en apparence : intérêt général et protection de la propriété, productivité et défense de l’environnement, impératifs de service public et concurrence, politique nationale et aspirations communautaires.


Pour conclure, le droit du transport du gaz naturel existe, indéniablement. C'est une matière doublement récente par sa création et par sa récente (r)évolution, qui ouvre donc des perspectives juridiques passionnantes.