
Proposition de loi du Sénat visant à encadrer le recours à des pesticides présentant un risque pour la santé
Par JIMMY HUSSON
Posté le: 24/07/2013 9:56
Le 15 juillet 2013 a été enregistré à la Présidence du Sénat une proposition de loi visant à encadrer le recours à des produits pesticides présentant un risque pour la santé.
Une mission commune d'information du Sénat portant sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement a rendu ses conclusions, le 10 octobre 2012, dans un rapport d'information intitulé « Pesticides : vers le risque zéro ». Celui-ci dresse un état de la situation actuelle en France en matière de risques des pesticides pour la santé et d'encadrement de leurs usages aux niveaux européen et national.
La mission commune d'information a établi cinq observations :
« - Les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués car certaines manifestations d'effets sanitaires potentiellement lourds et à long terme ne peuvent actuellement être recensées et semblent appelées à se multiplier.
- Le suivi des produits pesticides après leur mise sur le marché n'est qu'imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et l'effet des perturbateurs endocriniens est mal pris en compte.
- Les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques de ces produits.
- Les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n'intègrent pas suffisamment la préoccupation de l'innocuité pour la santé du recours aux pesticides.
- Le plan Ecophyto 2018, dont les objectifs ne seront certainement pas atteints notamment en ce qui concerne la réduction de 50 % de la quantité de pesticides utilisés en France à l'horizon 2018, doit être renforcé car l'usage des pesticides a augmenté au lieu de se réduire.
En conséquence, la mission d'information a adopté une centaine de recommandations visant à apporter des réponses à ces constats inquiétants. »
Ces points portent sur la protection des agriculteurs, la reconnaissance des dangers et des risques liés à une exposition aux pesticides, l'encadrement des pratiques industrielles et commerciales, le renforcement de l'évaluation et du contrôle de ces produits.
Cela rejoint l’esprit du projet agroécologique « Agricultures : produisons autrement » qui vise à combiner performance économique et performance écologique, présenté par le ministre chargé de l'agriculture en février 2013. À la fin du mois de mai 2013, le plan Ambition bio est venu s'insérer dans ce programme. En soi, ce projet n’est pas une innovation.
L'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA ou EFSA), la Commission européenne a décidé, le 24 mai 2013, de restreindre l'utilisation de trois pesticides insecticides (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame) pour trois types d'usage (semences, sol et feuilles) et plus de soixante-quinze cultures, à partir du 1er décembre 2013 et pour une durée de deux ans. Ils sont impliqués dans le déclin des abeilles.
L'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) a publié, le 13 juin 2013, les conclusions d'une expertise collective « Pesticides : effets sur la santé », identifie des relations entre la survenue de plusieurs pathologies et l'utilisation de certains pesticides, à savoir « une association positive entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l'adulte: la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques (lymphome non hodgkinien, myélomes multiples). Par ailleurs, les expositions aux pesticides intervenant au cours de la période prénatale et périnatale ainsi que la petite enfance semblent être particulièrement à risque pour le développement de l'enfant » (source : dossier de presse INSERM). »
« La proposition de loi vise à transcrire dans la loi les dispositions en mesure d'être appliquées dès maintenant. »
L'article premier tend à interdire les produits anti-poux contenant du lindane ou toute autre substance déjà proscrite pour les soins donnés aux animaux. Celui-ci est un insecticide à large spectre dont l'utilisation a été interdite en France pour les usages agricoles dès 1998. Il est classé dans le groupe des cancérogènes possibles pour l'homme (catégorie 2B) par le Centre International de Recherche sur le Cancer (C.I.R.C.). Certains cas d'intoxications aiguës ayant conduit à la mort ont déjà été recensés et que cette substance est associée à l'apparition de cancers chez l'enfant. L'usage de ce produit est interdit dans une cinquantaine de pays et en 2009, il a été ajouté à la liste de la Convention de Stockholm recensant les polluants organiques persistants (P.O.P.).
La proposition de loi vise à « proscrire définitivement le lindane de tous les produits anti-poux en France. » « Dans la même logique, toute substance insecticide proscrite pour les soins donnés aux animaux devrait l'être également pour l'usage humain. »
L'article 2 propose d'implanter, dans chaque école primaire, un potager de la biodiversité cultivé par les élèves sous l'autorité des professeurs des écoles.
L'implantation de ce potager de la biodiversité s'inscrit dans l'éducation à l'environnement de sensibiliser les enfants à la préservation et au respect de l'environnement, ce qui faciliterait une prise de conscience collective de la nécessité de changer nos pratiques. Cela rappelle le projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, par l'introduction d'un article 28 bis nouveau : « L'éducation à l'environnement et au développement durable débute dès l'école primaire. Elle a pour objectif d'éveiller les enfants aux enjeux environnementaux. Elle comporte une sensibilisation à la nature et à la compréhension et à l'évaluation de l'impact des activités humaines sur les ressources naturelles ».
L'article 3 vise à améliorer le suivi des effets des pesticides sur la santé après leur mise sur le marché. « Actuellement, l'évaluation des risques liés aux produits pesticides est effectuée avant leur autorisation de mise sur le marché (A.M.M.) par le biais de tests et d'expérimentations censés donner une vision précise de leurs effets futurs sur la santé. La durée de validité d'une AMM est de dix ans, période pendant laquelle, sauf cas particuliers, il est admis qu'il n'est pas nécessaire d'effectuer un suivi ou une réévaluation du produit. Or, il apparaît que les effets des pesticides sur la santé peuvent se manifester sur les moyens et long termes. De plus, les études ex-ante ne permettent pas nécessairement d'avoir une connaissance exacte de la dangerosité d'un produit pesticide, notamment car les tests sont effectués sur des animaux de laboratoire ayant une vie courte et que les études ne sont pas nécessairement transposables à l'homme. Cet article vise à « mettre en place un suivi plus approfondi des produits pesticides après leur autorisation de mise sur le marché »
Cet article « propose que des laboratoires indépendants, désignés par l'ANSES et dont les travaux seraient financés par le titulaire de l'autorisation, remettent un rapport d'évaluation du produit concerné après son AMM au minimum tous les cinq ans. »
L'article 4 prévoit que l'inaction de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture pendant plus d'une année après un avis de l'ANSES recommandant le retrait ou la limitation de l'usage d'un produit pesticide, vaudrait approbation de cet avis et entraînerait l'exécution immédiate des préconisations de l'avis de l'Agence.
L'article 5 tend à faciliter l'accès à la composition intégrale des produits pesticides commerciaux vu que « l'accès à la composition intégrale des produits pesticides commerciaux est difficile voire impossible en raison du secret industriel et commercial. En dépit de dérogations à ce principe du secret, cela n'est pas sans causer d'importantes difficultés aux médecins des centres anti-poison et à ceux du travail comme aux chercheurs ou aux malades. »
« Cette obligation d'information devrait peser solidairement sur les fabricants, les importateurs ou tout responsable de la mise sur le marché de substances ou de mélanges dangereux pour la santé. »
L'article 6 vise à autoriser la saisine de l'ANSES par le Président d'une des deux assemblées pour une demande d'avis sur l'impact d'un produit pesticide sur la santé.
L'article 7 tend à interdire l'utilisation des pesticides dans les zones non agricoles.
« Cette nécessité a déjà été traduite en partie dans un arrêté du 27 juin 2011 relatif à l'interdiction d'utilisation de certains produits pesticides dans des lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables. Il s'agit notamment des cours de récréation, des aires de jeux, des établissements de santé et de ceux accueillant des personnes âgées, des personnes adultes handicapées ou des personnes atteintes de pathologie grave. »
L'article 8 vise à imposer le respect d'une certaine distance de sécurité des habitations lors de l'utilisation de produits pesticides et d'adjuvants nécessitant une autorisation de mise sur le marché dans toutes les zones agricoles.
« A l'instar de l'arrêté du 27 juin 2011 relatif à l'interdiction d'utilisation de certains produits mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime dans des lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables, il convient de prévoir des dispositifs de protection pour les riverains étant en contact direct avec les produits pesticides pouvant s'avérer dangereux pour la santé.
Dans ce cadre, imposer une distance de sécurité entre une habitation et la bordure d'une exploitation pratiquant l'agriculture conventionnelle est indispensable. »
L'article 9 ambitionne d'encourager le recours aux préparations naturelles peu préoccupantes (P.N.P.P.) en les assimilant au régime des substances de base ou à celui des substances à faible risque.
« La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques a accordé une reconnaissance législative aux PNPP et les a situées hors du champ de la réglementation des pesticides. Le décret n° 2009-792 du 23 juin 2009 relatif à la mise sur le marché de PNPP à usage phytopharmaceutique a apporté une définition officielle de ces préparations en indiquant qu'elles devaient répondre à deux conditions : être élaborées exclusivement à partir d'un ou plusieurs éléments naturels non génétiquement modifiés et être obtenues par un procédé accessible à tout utilisateur final. Seulement, ce même décret a précisé que ces éléments naturels non génétiquement modifiés devaient faire l'objet d'une procédure d'inscription sur la liste communautaire des substances active. De ce fait, et de manière assez paradoxale, la réglementation française situe les PNPP hors du champ des pesticides tout en considérant qu'elles doivent être soumises aux mêmes contraintes administratives que ceux-ci en matière d'AMM. En conséquence, les PNPP doivent donner lieu à l''acquittement d'une coûteuse inscription sur la liste des substances autorisées constituant l'annexe I du règlement européen qui peut varier entre 40 000 € et 200 000 €. Or, aucun investisseur n'est aujourd'hui prêt à supporter de telles charges pour des substances entraînant peu de profits financiers. Le droit européen reconnaît deux autres catégories de produits pesticides nécessitant seulement une évaluation simplifiée au niveau européen : les substances de base et les substances à faible risque dont la définition est en cours au niveau communautaire. Aussi cet article propose de les assimiler aux substances de base ou aux substances à faible risque afin de les dispenser d'AMM. »
L'article 10 vise à accompagner les collectivités territoriales dans la nécessaire réduction de leur usage de pesticides en vue d'un abandon total du recours à ces produits en 2018.
« En 2010, 60% des communes de plus de 50 000 habitants étaient engagées dans un plan d'éradication totale de l'utilisation de produits phytosanitaires (plan dit « Zéro phyto »). Cet article, tout en rappelant la nécessité de parvenir à une absence totale de recours aux pesticides en 2018, propose d'ouvrir largement l'accès aux personnels des collectivités territoriales à la formation Certhyphyto puiqu'elle comprend des formations aux techniques de substitution. »
L'article 11 propose de relever les taux de la redevance pour pollutions diffuses de 10 % à partir du 1er janvier 2014 ainsi que le plafond du prélèvement annuel sur le produit de cette redevance effectué au profit de la mise en oeuvre du plan Ecophyto 2018 (article L.213-10-8 du code de l'environnement).
L'article 12 tend à interdire la vente de pesticides au grand public dans les supermarchés alimentaires.
L'article 13 vise à opérer une distinction nette entre les pesticides à usage professionnel et ceux à usage non-professionnel en matière de formulation, d'appellation commerciale, de conditionnement et d'étiquetage.
L'article 14 tend à séparer les activités de conseil et de vente des pesticides.
« La réglementation française s'est progressivement renforcée en matière d'encadrement des activités de conseil et de distribution relatives aux pesticides. La loi n° 92-533 du 17 juin 1992 relative à la distribution et à l'application par des prestataires de services des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés puis la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle II, sont ainsi venues encadrer ces pratiques, notamment par la délivrance d'un agrément et d'une certification obligatoires pour les entreprises de distribution. »
« 60 % des pesticides destinés aux agriculteurs sont distribués par les coopératives agricoles. En 2006, ces dernières ont élaboré un guide des bonnes pratiques visant à éviter toute dérive. Leur « Charte du conseil coopératif » prévoit notamment la déconnexion entre la rémunération et le niveau de vente d'un conseiller. Sept ans après son lancement, seul un tiers des conseillers des coopératives a adhéré à cette charte. De plus, pour l'heure, aucun contrôle et aucune mesure de sanction n'existent. »
L'article 15 prévoit d'améliorer le système de reconnaissance des maladies professionnelles en créant de nouveaux tableaux de pathologies dont l'apparition est particulièrement liée à une exposition aux pesticides.
L'article 16 vise à étendre l'action de groupe aux préjudices de santé
L'article 17 propose la mise en place d'un régime de sanctions pénales lié au trafic et à l'utilisation illégale de pesticides.
Tout trafic de pesticides interdits serait puni de cinq années d'emprisonnement et de 500 000 € d'amende et toute utilisation de ces mêmes produits de trois années d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende. Le fait de se livrer à ce trafic en bande organisée, c'est-à-dire en préparant la commission de l'infraction à l'aide d'un groupement ou d'une entente serait puni de sept ans d'emprisonnement et de 700 000 € d'amende.
http://www.senat.fr/leg/ppl12-756.html