
Une pollution d'un nouveau genre : les déchets spatiaux
Par Sylvain PACAUD
Posté le: 19/07/2013 9:53
Le récent crash de la fusée PROTON M, intervenu le 2 juillet dernier sur le pas de tir de Baïkonour, nous rappelle que l’activité spatiale n’est pas sans danger pour les populations et l’environnement. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un rapide état des lieux. En un peu plus de cinquante ans, les activités humaines dans l’espace ont généré sur les orbites basses et hautes de la terre tellement de déchets qu’ils menacent dorénavant d’endommager les satellites en service, dont dépendent différentes activités humaines comme la géolocalisation, la télécommunication ou la sécurité militaire. Plus inquiétant encore, selon de nombreux experts, même si on décidait d’arrêter toute activité spatiale, le nombre de débris continuerait à augmenter sous le seul effet du syndrome de Kessler. Syndrome selon lequel le volume des déchets spatiaux actuellement en orbite est tel que le risque de collisions augmente de façon exponentielle. De sorte que les collisions généreraient à leur tour des débris spatiaux qui à leur tour génèreraient d’autres débris et ainsi de suite. Le terme de débris spatiaux englobe les objets artificiels et leurs fragments présents dans l’espace, qui sont hors service et qui ne peuvent être réutilisés.
La Nasa et l’Agence Spatiale Européenne dénombrent pas moins de 23.000 débris de plus de 10 cm dont la majorité se situe en orbite basse, celle la plus utilisée par les satellites d’observation (entre 800 et 2000 km d’altitude). Les débris plus petits peuvent également occasionner de sérieux dégâts, dont les coûts directs liés à la perte de satellites endommagés dépasseraient de loin ceux des mesures correctives. Pour de nombreux spécialistes, il faudrait 100 milliards d’euros pour remplacer les satellites aujourd’hui actifs ! Et cela sans tenir compte de l’impact de leur disparition sur l’économie mondiale.
C’est donc dans ce contexte que la 6ème conférence européenne sur les débris spatiaux que s’est tenue le 25 avril dernier à Darmstadt. La conférence a notamment attiré l’attention des différents protagonistes sur la nécessité d’agir afin de nettoyer au plus vite notre espace. Fort de ce constat, plusieurs questions restent toutefois en suspend : qui fait le ménage et qui supporte le coût ?
- S’agissant des déchets spatiaux retombant à la surface de la terre :
Notre droit interne repose essentiellement sur un mécanisme d’autorisation préalable selon lequel : Les activités spatiales, qu’elles soient publiques ou privées, conduites depuis le territoire national ou par des entités de droit français, doivent faire l’objet d’une autorisation préalable et d’une surveillance continue de la part de l’État français conformément l’article VI du Traité de l’espace de 1967.
Hormis ce traité, il n’existe pas à ce jour en droit interne de cadre juridique spécifique pour ce type d’autorisation, alors même que ces activités engagent, en cas de réalisation d’un dommage, la responsabilité absolue de l’État au niveau international.
Au niveau international, la convention sur la responsabilité internationale de 1972 dispose conformément en son article II, que pour les dommages causés par des objets spatiaux : « un État de lancement a la responsabilité absolue de verser réparation pour le dommage causé par son objet spatial à la surface de la Terre ou aux aéronefs en vol ». Il s’agit d’une responsabilité sans faute pour les dommages causés au sol. Le montant de l’indemnisation n’est pas plafonné. Cette responsabilité objective et totale, relègue au second plan celle des acteurs privés impliqués et dépasse notablement les seules capacités du marché international des assurances. Pour mémoire lors de la catastrophe en 1978, liée à la retombée de débris d’un satellite militaire Russe, ce sont près de 124.000 km2 du territoire canadien qui furent contaminés par de l’uranium. L'URSS versera finalement une indemnité de 3 millions de dollars canadiens au Canada à la suite de cet accident.
- En ce qui concerne les déchets restés en orbite de la terre :
Il n’existe pas de réglementation traitant de la responsabilité internationale « orbitale », hormis la Convention de 1975 qui impose que les objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique soient immatriculés. Les Nations Unies en 2002 ont publié plusieurs directives, dites de bonnes conduites, afin de limiter les dégâts, avec notamment l’interdiction des destructions intentionnelles des satellites en fin de vie. Une directive prévoit également que soit intégré, dans les cahiers des charges la possibilité pour des satellites en fin de vie de quitter leur orbite fonctionnelle afin de rejoindre un « orbite cimetière » pour ne pas dire orbite poubelle, se situant vers 36.300 km au-dessus de l'orbite géostationnaire. Solution qui, si elle a le mérite de libérer l’espace orbital fonctionnelle, ne règle pas le problème de fonds du nettoyage.
Enfin, si plusieurs pistes techniques sont avancées comme notamment le lancement de robots éboueurs, plusieurs obstacles juridiques demeurent, puisque chaque déchet spatial à un propriétaire et par conséquent nul ne peut pas intervenir sur un engin spatial sans le consentement de son propriétaire. La mise en place d’une réglementation internationale visant à lutter contre la prolifération des déchets spatiaux reposera pour partie sur L’articulation d’un droit des biens et des sûretés des satellites avec le droit international de l’espace. Ce droit en devenir devra également concilier l’intérêt général avec les préoccupations parfois divergentes des nombreux protagonistes en présence. En effet, au-delà de la communauté spatiale stricto sensu comprenant notamment les ministères concernés, les opérateurs de lancement et de télécommunication, l’industrie spatiale, la communauté scientifique..., les assureurs pourraient bien à terme jouer un rôle non négligeable dans l’élaboration d’une nouvelle réglementation au niveau internationale, dans l’hypothèse où ces derniers seraient appelés en garantie lors d’un « sinistre spatiale ».