En premier lieu, le brevet doit porter sur une invention : selon l’alinéa 2 de l’article 52 de la Convention sur le brevet européen « ne sont pas considérées comme des inventions au sens du paragraphe 1 notamment : Les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ; Les créations esthétiques; Les plans, principes et méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d'ordinateurs; Les présentations d'informations.» Il apparaît donc que l'invention appartient à la réalisation et non à l'abstraction. C’est la matérialisation de l’idée qui est protégeable et non l’idée elle-même. En outre, le brevet récompense l'apport technique et non l'apport scientifique ni la création artistique, cette dernière entrant dans le champ du droit d'auteur. Une invention doit satisfaire à trois critères de brevetabilité pour être valable: nouveauté, utilité et inventivité. Selon l'article 52 de la CBE : « les brevets sont délivrés pour toute invention dans les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d'application industrielle ».


I. Le non-respect des critères de nouveauté et d’inventivité par les firmes du “Nord”

A. Le critère de la nouveauté

En vertu de l’article 54 de la CBE « Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. » L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. L'état de la technique est donc ce qui accessible au public. Il convient donc de distinguer une réelle invention, d’une simple découverte car en droit des brevets, une invention s'oppose à une découverte. La découverte d’une chose qui existe déjà mais, jusqu’alors inconnue, ne constitue pas une invention et n’est donc pas brevetable. On peut ainsi retenir la distinction suivante : « La découverte se distingue de l’invention en ce qu'elle est la perception par voie d'observation d'un phénomène naturel préexistant à toute intervention de l'homme. Par opposition, l'invention se caractérise en ce qu'elle est la coordination volontaire par l'homme de moyens matériels et l'aspect naturel d'un objet distingue la découverte de l'invention industrielle nécessairement marquée par une intervention artificielle de l'homme». (CLEYS A. Rapport de l’Assemblée Nationale sur la brevetabilité du vivant, 2001)

« Découvrir quelque chose, c'est percevoir le premier ce qui était déjà là, inventer quelque chose, c'est faire venir à la réalité ce qui n'était pas encore là ». La citation de Kant illustre parfaitement la problématique qui se pose aujourd’hui en droit des brevets. En effet, le fondement des brevets d'invention est celui de la propriété naturelle de l'homme sur les fruits de son travail, qui a conduit des entreprises cosmétiques, pharmaceutiques ou agroalimentaires à déposer des brevets liés aux connaissances sur des espèces végétales. L’application des droits de propriété intellectuelle aux éléments de la biodiversité et aux savoirs qui leur sont associés pose donc un certain nombre de difficultés. Une découverte correspond à la mise en évidence d'un élément quelconque qui préexiste dans la nature, comme une plante par exemple. Elle n'a pas d'application immédiate mais constitue un enrichissement de la connaissance. A contrario, une invention transforme le monde. Par exemple, une plante ne peut être officiellement brevetée en elle-même. Néanmoins, le processus d’extraction d’une nouvelle substance d’une plante peut constituer une invention brevetable. Le fait d'isoler un élément de la nature par l'intervention de la technique de l'homme le fait basculer dans le champ des inventions brevetables dès lors qu'en découle une application. De plus, avec une bonne stratégie, l’entreprise pourra multiplier les brevets sur les différents modes d’utilisation de la plante, ce qui conduira en pratique à breveter la ressource naturelle elle-même.

B. Le critère de l'activité inventive

Selon l’article 56 de la CBE « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique ». Une activité inventive est constatée dès lors qu'il y a une rupture avec les idées et les enseignements dispensés. Elle ne doit pas être évidente pour une personne ayant des connaissances moyennes dans le domaine technique considéré, autrement dit pour un « homme de métier ». L'OEB défini l'homme du métier comme un praticien normalement qualifier qui possède des connaissances générales dans le domaine concerné. Il est supposé connaître le contenu de tous les documents de l'état de la technique et est compétent pour distinguer l'évident du non-évident. L'homme de métier analyse également la suffisance de la description de l'invention afin de vérifier que cette dernière soit suffisamment explicitée de façon à ce qu’il puisse la reproduire. A la différence de la nouveauté qui est un critère absolu, l'activité inventive est un critère subjectif qui implique l'appréciation de l'activité inventive par une démarche intellectuelle.
Néanmoins, comme l'ont noté de nombreux chercheurs, l'inventivité en matière d'isolement de gènes a considérablement changé depuis un certain nombre d'années. En effet il y a quelques années, pour arriver au résultat d’isolation d’un gène, on mettait en œuvre une recherche souvent fortement inventive qui permettait d'y aboutir. Isoler un gène constituait à cette époque un tour de force expérimental et résultait d'une approche pouvant à juste titre être assimilée à une démarche inventive. Depuis une dizaine d'années, l'isolement de gènes et la détermination de leur structure chimique a considérablement changé grâce à l'apport des puissantes capacités informatique et scientifique. Cette technique n'a cessé de se développer et de s'améliorer. On estime qu'elle a conduit à augmenter les performances des laboratoires d'un facteur dix entre 1995 et 1997 et de nouveau du même facteur depuis 1997. Le rôle irremplaçable joué dans la recherche par la bio-informatique conduit de très nombreux chercheurs à estimer abusif de parler d'invention puisque l'essentiel du travail est effectué par des programmes informatiques certes sophistiqués, qu'il suffit de savoir piloter. On peut alors arguer de la qualité de procédé et non pas d’invention. On peut donc se demander si l'innovation peut être réduite au simple fait d'isolation des gènes et de traitement de la manipulation. Il semble donc que la frontière entre la découverte et l'invention s’estompe dans le domaine des biotechnologies au profit de la brevetabilité systématique de ces dernières.

Une invention doit constituer une activité susceptible d'application industrielle. Selon l'Article 57 de la CBE « Une invention est considérée comme susceptible d'application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie, y compris l'agriculture ». L'invention n'est brevetable que si elle a une vocation opérationnelle et tangible. Le Tribunal de Grand Instance de Paris est venu préciser que « pour qu'une invention soit reconnue brevetable, il est suffisant qu'elle procure un résultat technique immédiat dans l'ordre industriel, même si ce résultat est faible et imparfait et si les techniciens considèrent cette invention sans intérêt du point de vue commercial et sans utilité dans l'exploitation ». Ce critère ne pose pas de difficulté particulière pour la brevetabilité des ressources naturelles.


II. Le non-respect de l’état de la technique par les firmes du « Nord » : le cas des savoirs oraux

Une antériorité à un brevet est démontrée lorsque celle-ci se trouve dans l'état de la technique telle quelle, « dans la même forme, dans le même agencement et dans le même fonctionnement ». L'antériorité doit présenter tous les moyens caractéristiques de l'invention brevetée, réunis de la même façon et pour y remplir la même fonction et aboutir aux mêmes résultats. Cela veut dire qu'on ne peut pas prétendre à une antériorité en combinant différents éléments de l'état de la technique. En d'autres termes, l'invention est dépourvue de nouveauté si toutes les caractéristiques se retrouvent dans un document déposé précédemment pour une demande de brevet.

Lors de la recherche d’antériorité, l’autorité compétente vise à mettre en évidence les éléments techniques les plus proches de l’invention par rapport à ce qui est connu : l'état de la technique. La recherche des antériorités est une activité primordiale pour apprécier le caractère de nouveauté d'une demande de brevet. Ainsi, un important service de recherches s’est développé afin de maintenir au fait le niveau des informations scientifiques et techniques. L’OEB collecte et organise une masse considérable d'informations provenant de toutes les parties du monde. Sa documentation interne comporte ainsi plus de 31 millions de documents. C'est donc un très important producteur d'informations dans les domaines des sciences et des techniques dans la mesure où les demandes de brevets représentent les documents les plus actuels sur les innovations techniques.
Aujourd’hui, est considéré comme « innovation » tout ce qui ne fait pas partie de l’état de la technique. En revanche, seul est considéré comme faisant partie de l’état de la technique ce qui figure dans un document écrit. Or, le système de régulation de la propriété intellectuelle étant issu d’une philosophie occidentale, ce raisonnement ne prend pas en compte la transmission orale. L’état de la technique devrait comprendre ce qui est connu par l’usage, la commercialisation traditionnelle et la divulgation orale car la grande majorité de ces savoirs locaux sont transmis verbalement et les savoirs s’accumulent au fil du temps. En effet, leurs savoirs très anciens ne sont ni répertoriés ni retranscrits par écrit, la preuve d’une existence antérieure au dépôt du brevet est par conséquent, difficile à apporter. Il faut être à l'origine d'une idée nouvelle pour s'en réclamer le propriétaire. Or l'existence de savoirs traditionnels, inscrits dans des systèmes de connaissances le plus souvent oraux, est reconnue par les textes du Droit international restent relativement méconnus de nos civilisations (Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail et la Déclaration des Nations Unis sur les Droits des Peuples autochtones). Il est donc indispensable d'un point de vue éthique de respecter l'antériorité des connaissances traditionnelles qui sont par ailleurs souvent accessibles, alors même qu’elles font rarement l’objet d’une documentation écrite.

Par conséquent, la plupart des propriétés découvertes par les entreprises sont généralement déjà connues des populations locales qui les exploitent déjà. Prenons l’exemple d’une communauté en Amazonie qui utilise une plante pour ses vertus cosmétiques. Théoriquement, il serait impossible de déposer un brevet sur les applications cosmétiques de cette plante, puisque celles-ci sont déjà connues : il n’y a ni invention, ni nouveauté. Mais cette antériorité des savoirs est en pratique difficile à prouver si une communauté n’a pas de traces écrites de telles utilisations. Une utilisation strictement identique pourra donc être considérée comme l’« invention » d’une entreprise et, par là même, être brevetée.
Les demandes de brevet touchant à la biodiversité et au savoir autochtone qui reposent sur l'innovation, la créativité et le génie des peuples du tiers-monde, sont des actes de «biopiraterie». La biopiraterie est donc la conséquence de l'inaptitude des systèmes de brevet occidentaux sur les cultures extérieures. Ce système de brevet étant inadapté à l'examination de tous les systèmes de connaissance et en l’occurrence, des innovations collectives qui se sont accumulées au fil des siècles et des générations dans les collectivités rurales. Le piratage des ressources biologiques et des savoirs qui y sont associés est la conséquence de la discrimination entre propriétaires de droits intellectuels d'un côté, et détenteurs de savoirs traditionnels de l'autre.

Il existe donc un important déséquilibre entre la forte protection juridique accordée à certaines créations et innovations et l'absence totale de protection juridique en faveur des savoirs traditionnels et de leurs détenteurs. En particulier, l'absence totale de reconnaissance ou de compensation pour les communautés autochtones et locales lorsqu'un de leurs savoirs traditionnels est utilisé dans une invention pharmaceutique, cosmétique ou alimentaire. La question de la propriété intellectuelle sur les ressources issues de la biodiversité est donc controversée. Si le droit permet la brevetabilité d'innovations issues de la matière vivante, il faudrait alors en contrepartie reconnaître des droits, à ceux qui ont permis la préservation et la constante amélioration des espèces biologiques situées sur leur territoire, c’est à dire, les populations autochtones.