
La mise en œuvre de la biopiraterie
Par Julia BERKOWICZ
Juriste environnement
Cabinet d'avocats Allena
Posté le: 26/06/2013 10:46
1) La bioprospection
La bioprospection est définie comme l'inventaire et l'évaluation des éléments constitutifs de la biodiversité. Elle peut avoir un objectif scientifique, économique, ou viser à la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité.
L'activité de bioprospection menée à des fins économiques pour en tirer des ressources génétiques dont découleraient des produits présentant un intérêt commercial par les secteurs de la pharmacologie, des biotechnologie, de la cosmétologie ou de l'agriculture, suscite parfois des controverses. Dans un but commercial de bioprospection, les entreprise pharmaceutiques qui commercialisent des médicaments, ou les entreprises du luxe qui commercialisent des produits cosmétiques ou des parfums ont pour objectif de découvrir une espèce rare, qui par ses propriétés, permettra de fabriquer et de commercialiser un produit correspondant aux attentes des consommateurs des pays du Nord.
La difficulté majeure issue de ces activités est liée à l’immensité du défi que constitue la collecte d’informations concernant des ressources biologiques qui se trouvent dans des espaces dotés d’une telle diversité. Les bioprospecteurs ont donc régulièrement recours aux savoirs développés par les populations locales, et plus particulièrement autochtones, pour maîtriser leurs recherches. Lorsqu'elle n'est pas autorisée et encadrée légalement, la bioprospection peut être qualifiée de biopiraterie. C'est notamment le cas lorsque des entreprises ou organismes de recherche brevettent sans autorisation ou sans contrepartie à des fins lucratives des substances recensées lors des inventaires.
Un exemple concret et courant est celui d’un représentant d’entreprise qui se rend dans une zone riche en biodiversité, que l’on appelle dans la pratique les points chauds ou “hotspot”. Ces sont des zones géographiques contenant au moins 1500 espèces végétales endémiques mais qui ont déjà perdu au moins 70 % des espèces présentes dans leur état original. Tel est le cas de l’Amazonie puisqu'elle regorge d'espèces biologiques diverses et rares. Ces zones fortes en biodiversité, appelées « hotspot » sont aussi souvent celles où vivent de nombreux peuples autochtones, dont le mode de vie est intrinsèquement lié à aux ressources naturelles et aux savoirs qu'ils détiennent sur leur utilisation. Ce « biopirate » pourra ainsi facilement se faire passer pour un touriste curieux de découvrir les usages que les populations locales font des plantes et des fleurs. Il posera des questions, observera les techniques, et pourra ramener un échantillon dans son sac. Les biopirates arrivent aisément à dissimuler leurs actes : l’observation des pratiques et des savoirs des communautés locales leur permet d’identifier l’usage thérapeutique ou agricole des plantes, des semences et des substances d’origine animale, de dérober ces ressources génétiques dont bon nombre ne sont pas visibles à l’œil nu comme les micro-organismes.
La connaissance des plantes par les peuples autochtones n’est plus à démontrer. Pour pouvoir survivre dans des environnements extrêmes, les sociétés traditionnelles ont appris à utiliser les plantes qui les entourent. Tel est le cas des Kallawayas, guérisseurs itinérants de Bolivie qui connaissent l’usage de 300 à 600 plantes. Ces connaissances ont un immense intérêt pour les entreprises qui pourront ainsi accélérer leur recherche et développement. Selon les données de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle Brésilien, « les industries économisent jusqu’à 400% en temps de recherche quand elles sont aidées par les traces fournies par les populations traditionnelles ». Cela génère ainsi des gains importants d’argent et de temps qui constituent des avantages précieux pour les industriels dans un contexte de forte concurrence.
Les communautés autochtones, par leurs pratiques et connaissances, ont une double importance relative à la biodiversité. Elles jouent en même temps le rôle d’agent facilitant son usage important pour les secteurs industriels et pour les institutions de recherche publiques ou privées et le rôle de gardien de la diversité biologique d’extrême importance à ces derniers et à toute l’humanité. Ainsi, les savoirs traditionnels associés représentent un attrait pour les pays riches. Ces savoirs fonctionnent donc comme un raccourci à la découverte de nouveaux produits, résultant de la réduction de plusieurs années de recherche et de l'économie de millions de dollars en investissements, potentialisant énormément le pouvoir recherche-produit de ces sociétés.
2) Le traitement en laboratoire
La seconde étape est plus directement liée à l’exploitation commerciale qui en est faite. Après le retour des bioprospecteurs dans leurs pays d’origine, les laboratoires ou firmes essayent de développer une application commerciale à partir des matériaux biologiques prélevés. Au cours de la deuxième étape, ce « biopirate » confie ses observations et spécimens au laboratoire de son entreprise. Les scientifiques identifient la ressource génétique ainsi que des propriétés biologiques afin d'en extraire le « principe actif » de la feuille ou de la graine. Un principe actif est défini comme une molécule possédant des vertus thérapeutiques ou cosmétiques.
Ce travail sera facilité dans un certain nombre de cas, par les observations du bioprospecteur qui en a examiné l’usage par les peuples ruraux et autochtones. Cette étape est essentielle, puisque c’est cette intervention de l’humain sur la nature qui donne à l’entreprise le droit de revendiquer la propriété de son invention par un droit de propriété sur ce qui est désormais considéré comme une « invention » humaine.
Diverses sources ont conclu que la valeur affectée à la bioprospection végétale variait fortement (de 200 dollars à 2 millions de dollars par plante). Ces différences résultent de la probabilité de trouver la plante intéressante parmi de nombreuses autres plantes testées, très variable selon le lieu et les connaissances et moyens d'investigations disponibles. Deuxièmement, des variations de la valeur donnée à une plante conduisant à un médicament ou un produit vendu. Cette valeur varie de 250 000 à 37,5 milliards de dollars (intégrant outre les bénéfices pour l'entreprise de pharmacochimie, des bénéfices sociétaux induits par le nombre de guérison ou l'amélioration des handicaps pour les malades).
3) Le dépôt de brevet
La reconnaissance d’une « invention » constitue la troisième étape. Le droit de propriété intellectuelle, d’inspiration occidentale, offre un titre de propriété dès lors que l’humain a fait preuve de technique pour créer un produit, même si celui-ci est d’origine biologique. Ce droit de propriété est officialisé par l’octroi du brevet : l’entreprise ou la personne « inventrice » devient propriétaire du médicament ou du produit cosmétique créé à partir des ressources biologiques et des savoirs traditionnels associés. À partir d’une plante, librement disponible dans la nature et utilisée depuis des générations par les populations locales, un produit prêt à entrer sur le marché a été créé. Les ressources et le savoir appartiennent en tant que bien immatériel aux populations autochtones mais la fabrication du produit par les industries crée un bien matériel susceptible d’être breveté.
Les entreprises légitiment le dépôt de brevet en arguant de l’investissement du temps passé et de l’argent dépensé pour justifier un dépôt de brevet. Dans cette conception, l’idée d’obtenir un brevet et donc un monopole d’exploitation, sur les seules bases d’une connaissance du système juridique et d’une connaissance scientifique, peut devenir illégitime. La biopiraterie est donc assimilée par ceux qui s'en disent victimes à un pillage de leurs ressources.
En effet, il est acquis que la sagesse, pour ne pas dire la science de certaines populations locales en matière d'agriculture ou de pharmacopée a contribué à préserver voire améliorer la diversité biologique de notre environnement planétaire et ce, depuis des siècles. Il n'est donc pas équitable que des personnes utilisent des espèces autochtones de plantes à des fins exclusivement commerciales sans que ceux qui sont à l'origine de la diversité de ces plantes ne voient leurs apports ou leur travail reconnus, quelle que soit la forme de reconnaissance (COSTES C, La biopiraterie, les savoirs traditionnels et le droit, IKEWAN n°67 fevrier-mars-avril 2008).
La lutte contre la biopiraterie représente donc un défi important à relever. En effet, les ONG qui combattent la biopiraterie soulignent le côté immoral et abusif du droit de propriété revendiqué par des entreprises lorsque celui-ci s'appuie, sans leur accord et sans rémunération adéquate, sur les connaissances traditionnelles développées par les peuples locaux. Les industries agroalimentaires, cosmétiques et pharmaceutiques ont compris la valeur de ces connaissances, et le temps qu'elles pouvaient gagner en recherche et développement en puisant dans ces dernières. Certaines entreprises en cause affirment que les pays eux-mêmes sont coupables de piraterie. Ils prétendent que les pays du Sud n'ont pas de loi adéquate et efficace sur la propriété intellectuelle, et affirment perdre des millions de dollars chaque année à cause du viol de brevets.