
Biopiraterie : vers un début de condamnation des entreprises
Par Julia BERKOWICZ
Juriste environnement
Cabinet d'avocats Allena
Posté le: 13/06/2013 16:14
I) La biopiraterie : un mécanisme d'appropriation illégitime des ressources naturelles et des savoirs traditionnels associés
Bien que le concept moderne de "biopiraterie" soit apparu en 1992 à travers la Convention sur la diversité biologique, ce terme a été utilisé pour la première fois en 1993 par l’organisation non-gouvernementale (ONG) canadienne The Rural Advancement Foundation International. Ce néologisme a rapidement connu une diffusion mondiale, notamment depuis son usage en 1997 dans l'ouvrage "La biopiraterie où le pillage de la nature et de la connaissance" de l'écologiste et militante indienne Vandana Shiva.
Il n'existe pas à l'heure actuelle de définition communément admise du terme biopiraterie. Le Collectif Biopiraterie le défini comme « l'appropriation illégitime des ressources de la biodiversité et/ou des connaissances traditionnelles des peuples autochtones qui peuvent y être associées. » Cette appropriation est illégitime dès lors qu’elle est effectuée par autrui sans leur consentement ou sans partage des bénéfices liés à la valorisation de ces ressources.
Le rapport sur les aspects relatifs au développement des droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques de la Commission de développement du Parlement Européen en date du 4 décembre 2012 désigne également la biopiraterie comme « la pratique du secteur privé consistant à privatiser et à déposer des brevets sur les savoirs traditionnels ou les ressources génétiques de peuples autochtones, sans rechercher d'autorisation préalable auprès des pays d'origine ou sans leur reverser de compensation. »
Sur un plan juridique plus restreint, la biopiraterie est définie comme "un acte d’acquisition de droits de propriété intellectuelle sur des connaissances ou des organismes vivants découverts par les collectivités autochtones et les communautés traditionnelles et locales, y compris les éléments de leurs corps, et ce sans leur consentement ni leur rémunération".
La biopiraterie peut ainsi prendre différentes formes d’appropriation illégitime : l'utilisation non autorisée de ressources biologiques: plantes, animaux, organes, micro-organismes ou gènes; l'utilisation non autorisée des connaissances ou savoirs-faire traditionnelles associés aux ressources biologiques des communautés autochtones; le partage non équitable des bénéfices liés à la valorisation des ressources entre le titulaire du brevet et la communauté ou le pays fournisseur des ressources et/ou des connaissances traditionnelles associées; le brevetage des ressources biologiques et savoirs-faire traditionnels associés sans respecter les critères de brevetabilité; Ainsi, un brevet basé sur des savoirs traditionnels est par définition illégal, puisqu’il enfreint le principe de nouveauté. Il ne respecte pas plus le critère d’inventivité : celui qui se réclame de la variété ou de la méthode brevetée n’a rien inventé, puisque cette pratique était connue au sein des sociétés traditionnelles.
D'une part, la biopiraterie touche aux ressources naturelles. L'érosion de la biodiversité est particulièrement alarmante dans les pays en développement à cause notamment, du pillage constant de leurs richesses naturelles.
D'autre part, la biopiraterie touche aux savoirs traditionnels des peuples associés à ces ressources naturelles. Les savoirs traditionnels sont un corps de connaissances, de savoir-faire, de pratiques et de représentations maintenues et développés par les peuples dont l’histoire se confond avec l’environnement naturel. Ces savoirs constituent la base de prise de décisions relatives aux différents aspects de la vie de tous les jours : la chasse, la pêche, la cueillette, l’agriculture, la conservation et la distribution de la nourriture, la localisation et collecte des plantes utiles pour combattre les maladies et les blessures et plus encore.
Par conséquent, les ressources génétiques ainsi que les connaissances des communautés indigènes et traditionnelles associés sont au cœur du phénomène de biopiraterie.
On peut citer à titre d'illustration, quelques exemples d'utilisations de ressources génétiques et de connaissances traditionnelles associées à un secteur:
Industrie pharmaceutique: développement de médicaments pour le traitement des maladies: les savoir-faire traditionnels sont le plus utilisé dans le domaine de la médecine. Ainsi, 80% de la population du tiers monde utilise des plantes médicinales et des ressources de la médecine traditionnelle pour se soigner;
Industrie cosmétique: développement de produits cosmétiques à partir de plantes, y compris sur la base de connaissances traditionnelles;
Cette pratique commence à faire l'objet de condamnation grâce à la mise en place de législations contraignantes.
II) La condamnation par le Brésil de 35 multinationales
L’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA) a évalué le coût de la biopiraterie à 70 milliards de dollars. En effet, au Brésil, 20 000 échantillons de ressources génétiques sont dérobés chaque année et quittent illégalement le territoire à destination principalement des pays du Nord, tant par des réseaux internationaux de contrebande et de crime organisé, que par des scientifiques ou collecteurs travaillant pour les sociétés multinationales ou des institutions.
C'est ainsi que les autorités brésiliennes ont mises en place la loi brésilienne sur la biodiversité n°2.186-16/01 en 2001. Cette loi régule l'accès aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels. Elle impose à ce titre les paiements de royalties aux communautés dépositaires, des transferts de technologies et/ou de formations à l’exploitation durable de ces ressources. Cette loi porte également création d'un nouvel organisme relevant du Ministère de l’Environnement, le Conseil de Gestion du Patrimoine Génétique (CGEN), qui coordonne les politiques de gestion du patrimoine génétique et du savoir traditionnel.
Néanmoins, depuis 2003, la réglementation relative à l'accès aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels est effectuée de manière plus stricte et se voit ainsi critiqué. De nombreuses entreprises et organismes de recherche étrangers estiment que les restrictions mises en place par le Brésil sont trop contraignantes, et beaucoup ont préféré cesser toutes leurs activités de bioprospection.
La loi a cependant permis à l’IBAMA, de condamner le 6 juillet 2012, 35 multinationales dont certaines brésiliennes mais également européennes telles que Merck, Unilever, L'Oréal, Weleda, Beraca ou le groupe Boticario à payer 88 millions de reals (environ 35 millions d'euros).. L'IBAMA les a condamné au motif qu'elles n'auraient pas respecté la loi brésilienne sur le partage des avantages issus de la biodiversité.
Ces sociétés actives pour la plupart dans la cosmétique ou la pharmacie, auraient en effet, omis de demander des autorisations pour utiliser des ressources naturelles locales, ou de mettre en place une des mesures de partage exigées par la loi brésilienne sur la biodiversité. Cette condamnation constitue ainsi la première dénonciation d'actes de « biopiraterie » au Brésil. Néanmoins, l'IBAMA invite les entreprises à se mettre en conformité avec la législation, ce qui leur permettrait de voir annuler 90% de leurs amendes.