Suite à une proposition de loi la Marie-Christine Blandin (sénatrice EELV), le Sénat a adopté le 03 Avril dernier en seconde lecture plusieurs dispositions visant à mieux protéger les lanceurs d'alerte relatives aux risques sanitaires ou environnementaux. "Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement." C'est ainsi que la nouvelle loi définit le droit d'alerte qu'elle instaure. Le texte précise toutefois que l'information que la personne rend publique doit être dénuée de tout caractère diffamatoire ou injurieux. Le fait de lancer une alerte de mauvaise foi ou avec l'intention de nuire sera d'ailleurs puni d'une peine pouvant atteindre 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende.

Ce texte prévoit en particulier la création d’une Commission Nationale de la Déontologie Environnementale chargée de l'enregistrement et du suivi des alertes formulées ainsi qu’aux règles déontologiques s’appliquant aux expertises (I). Ce même texte impose également de nouvelles missions et prérogatives au CHSCT (Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) ainsi que de nouvelles obligations aux employeurs (II). Enfin, est créé un régime juridique spécifique pour assurer la protection des lanceurs d’alerte (III).

I. Création de la Commission Nationale de la Déontologie et des Alertes
en Matière de Santé et d’Environnement :

Cette commission transmet aux ministres compétents les alertes qui lui ont été adressées. Ces derniers l’informent en retour de la suite qu’ils réservent à ces alertes, et des éventuelles saisines d’agences en lien avec celles-ci. Cette Commission pourra également émettre des recommandations générales sur les procédures déontologiques ou d'expertise scientifique ; elle identifiera et diffusera les bonnes pratiques françaises ou étrangères en la matière. Elle sera aussi consultée sur les codes de déontologie mis en place dans les établissements et organismes publics relevant des domaines de la santé et de l’environnement.
Composition de cette Commission : parlementaires, représentants du Conseil d’État et de la Cour de cassation, membres du Conseil économique, social et environnemental et des « personnalités qualifiées » en matière d’évaluation des risques, d’éthique, de déontologie, de sciences sociales de droit du travail, droit de l’environnement ou droit de la santé publique, ou appartenant à des organismes de recherche et ayant mené des missions d’expertise collective. Par ailleurs, les membres de cette commission, comme toute personne qui collaborera à ses travaux, seront soumis à des règles de confidentialité, d’impartialité et d’indépendance dans l’exercice de leurs missions et seront tenus de signer, lors de leur entrée en fonction, une déclaration publique d’intérêts, qui sera actualisée tous les ans.

Ladite commission pourra être saisie par :
- un membre du Gouvernement, un député ou un sénateur,
- les associations de défense des consommateurs agréées selon l'article L. 411-1 du code de la consommation,
- les associations de protection de l'environnement (agréées selon l'article L. 141-1 du C. Env.),
- les associations du domaine de la santé (agréées en vertu de l'article L. 1114-1 du code de la santé publique),
- les organisations syndicales visées à l’article L. 2122-1 du Code du Travail et les organisations interprofessionnelles d’employeurs au niveau national ;
- l'organe national de l'ordre d'une profession du domaine de la santé ou de l'environnement,
- un établissement public ou un établissement d’enseignement supérieur.

Cette Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement devra établir chaque année un rapport, adressé au Parlement et au Gouvernement, qui évalue les suites qui ont été données aux avis et alertes dont elle a été saisie. Ce rapport est rendu public et accessible en ligne. Elle pourra également formuler des recommandations sur les réformes qu’il conviendrait d’engager pour améliorer le fonctionnement de l’expertise scientifique et technique et la gestion des alertes.

Création d’une obligation de tenir un registre des alertes :
Un décret en Conseil d’État fixera la liste des établissements ou organismes ayant une activité d’expertise et de recherche dans le domaine de la santé ou de l’environnement qui auront dorénavant l’obligation de tenir un registre des alertes qui leur seront transmises et des suites qui y auront été données. Ces registres seront accessibles aux corps de contrôle des ministères de la santé, de l’agriculture et de l’environnement ainsi qu’à la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement.


II. Modalités d’exercice du droit d'alerte dans l'entreprise :

Le devoir d’alerte des salariés et du CHSCT déjà existant en cas de danger grave et imminent est complété par des considérations relatives au risque sur la santé publique ou l’environnement :
Création d'un chapitre 3 qui vient s'ajouter au titre III du livre 1er de la partie 4 du Code du Travail. Chapitre qui s'ouvre par la création de l’article L. 4131-1 relatif au devoir d’alerte du salarié : « le travailleur alerte immédiatement l’employeur s’il estime de bonne foi que les produits ou procédés de fabrication mis en œuvre par l’établissement font peser ''un risque sur la santé publique ou l’environnement''. ». De la même manière, l’article L. 4131-2 du Code du Travail crée, au profit du représentant du personnel au CHSCT, un droit d’alerte l'employeur s'il celui-ci constate, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, qu'il existe un risque de danger grave pour la santé publique ou l’environnement. Ces alertes sont consignées par écrit et l'employeur doit informer leurs auteurs des suites qui y seront données et elles seront examinées conjointement par le CHSCT et l'employeur. En cas de divergence d'avis sur le bien-fondé de cette alerte ou d'absence de réponse dans un délai d'un mois, possibilité de saisir le représentant de l'état dans le département (information du CHSCT dans ce cas).

Le CHSCT voit donc ajouté à ses missions habituelles celle de l’examen des alertes sanitaires ou environnementales dont il est saisi par un de ses membres ou par un salarié de l’établissement.
Ce comité devait déjà se réunir à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves ; il devra également, depuis cette nouvelle loi, le faire en cas d’événement ayant porté ou pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement lié à l’activité de l’établissement.
Renforcement de l’obligation générale de l’employeur d'information et de formation à la sécurité :
Cette loi impose également un complément à la formation et aux informations dues par l’employeur aux salariés : celui-ci est maintenant tenu d’organiser et dispenser, en association avec le CHSCT, une information sur les risques potentiels que font peser sur la santé publique ou l'environnement les produits et procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l'établissement ainsi que sur les mesures prises pour y remédier.


III. Adoption de règles spécifiques pour la protection des lanceurs d'alerte :

Est ajouté d'un titre V au livre 3 de la 1ère partie du CSP (code de la santé publique) qui instaure une protection spécifique pour toute personne physique ou morale qui rend publique, de bonne foi, une information dont la méconnaissance lui parait dangereuse pour la santé publique ou pour l'environnement.
Ce titre V prévoit l’insertion d’un article 1350-1 qui interdit toute mesure discriminatoire, sanction directe ou indirecte ou mise à l’écart d'un recrutement à l’encontre d’une personne ayant relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits relatifs à un danger pour la santé publique ou l’environnement dont elle aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Il est également précisé que toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.

Si une telle mesure est alléguée, la charge de la preuve est inversée : en cas de litige, dès lors que la personne suscitée établit des éléments qui permettent de présumer qu’elle a relaté ou témoigné de faits relatifs à un danger pour la santé publique ou l’environnement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé.
En contre partie, ce nouveau texte dispose que « toute personne physique ou morale qui lance une alerte de mauvaise foi ou avec l'intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l'inexactitude des faits dénoncés est punie des peines prévues par l'article 226-10 du code pénal relatif à la dénonciation calomnieuse», (soit ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende). Il est enfin prévu que tout employeur destinataire d'une alerte qui n'a pas respecté les règles prévues par le titre II de la présente loi perd le bénéfice de l'exonération pour risque de développement (prévue au 4° de l'article 1386-11 du C. civil).

Plusieurs dispositions n'ont PAS été votées :
- Le CHSCT devra également être consulté avant tout changement des produits ou procédés de fabrication utilisés dans l’établissement susceptible de faire peser un risque sur la santé publique ou l’environnement et devra maintenant réaliser, en plus des enquêtes en matière d’accidents du travail qu’il menait déjà, des enquêtes sur les alertes sanitaires ou environnementales qui lui sont signalées.
- Le texte initial prévoyait en outre que les institutions représentatives du personnel peuvent présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises en complément des indicateurs présentés dans le rapport de gestion des sociétés anonymes.
- Le lanceur d’alerte aurait pu saisir le Défenseur des droits (dans les conditions de l’art. 5 de la loi organique n° 2011-333, du 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits).
- Le CHSCT devait être consulté avant toute décision d'aménagement modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail. Il devait également être consulté avant tout changement des produits ou des procédés de fabrication utilisés dans l’établissement susceptible de faire peser un risque sur la santé publique ou l’environnement.

Critiques pouvant être formulées : Les élus écologistes ont dû accepter de remplacer la Haute autorité qu'ils souhaitaient voir créé, par une commission nationale avec des compétences et des moyens plus restreints. Une décision liée à la demande des socialistes et du gouvernement, soucieux de ne pas avoir à financer une nouvelle instance, cette commission étant créée par une refonte de l'actuelle Commission de prévention et de sécurité. Au lieu d'une autorité indépendante au pouvoir normatif car cette commission qui dépend du gouvernement et qui a un rôle simplement ''consultatif''.