En entreprise, la formation à la sécurité a pour objet d'instruire les salariés sur les précautions à prendre pour assurer leur propre sécurité et, le cas échéant, celle des autres personnes occupées dans l'établissement. Elle doit permettre d'expliquer à chaque travailleur l'origine des risques, le bien-fondé des mesures de prévention mises en œuvre pour prévenir ce risque, la façon d’intégrer la sécurité dans les processus habituels de travail et la conduite à tenir en cas d'accident.
La formation à la sécurité est une obligation pour l'employeur qui doit l'organiser de manière adaptée à l'activité de l'entreprise et du salarié. Pilier des neuf principes généraux de prévention, l'obligation d'information et de formation du personnel de l'article L.4121-2 du Code du travail pose d’importants soucis organisationnels en entreprise qui nécessite en pratique un système de mise en place et de suivi minutieux. L’entreprise est tenue de former tout son personnel à la sécurité, de façon générale et spécifique selon le poste occupé.
Il est souvent constaté lors d'accidents du travail graves que le salarié victime n'avait pas été formé et/ou informé de manière suffisante ou adaptée. En cas de contrôle de l’inspection du travail ou d’accident du travail, l’employeur devra être en mesure d'apporter la preuve que le salarié a bien reçu les formations que son métier exigent et qu’il a été recyclé dans les temps. Le manager étant le premier représentant du pouvoir de direction de l'employeur pour ses agents, est-il responsable en cas de défaut lié à la formation à la sécurité?


I. L'engagement de la responsabilité du manager est-elle possible en cas d'accident lié au défaut de formation à la sécurité ?

Après la survenue d'un accident du travail, l’analyse des causes montre souvent un lien entre le défaut de formation à la sécurité et l’accident. Le manager joue un rôle dans l'attribution des formations à la sécurité de ses agents, mais l'employeur se doit de contrôler le respect des obligations qui lui incombe. Alors, comment est partagée la responsabilité ?


A. La délégation de pouvoirs transfère-t-elle toujours la responsabilité pénale en cas de défaut de formation à la sécurité?

En principe, c'est la responsabilité pénale de l'employeur qui est engagée en cas d'accident lié à l'absence de formation à la sécurité, et ce en vertu de son obligation de sécurité de résultat que lui impose l'article L4121-1 du Code du travail.
L'absence de délivrance d'une formation sécurité dans le cadre d'un accident du travail est donc une faute, qui engage la responsabilité pénale de la ou des personnes qui disposent de la capacité d'engager la société. C'est donc en vertu d'une fiction juridique créé par la jurisprudence, appelée la délégation de pouvoirs que le manager peut être tenu responsable.

1) Le principe du transfert total de la responsabilité pénale sur les épaules du manager

La jurisprudence est abondante concernant le cadre de la délégation de pouvoirs, il faut donc rester vigilant sur les évolutions jurisprudentielles récentes.
Le Directeur (délégant) transfert la responsabilité pénale sur les épaules du manager (délégataire) si elle n'est pas expressément exclues dans les statuts de l’entreprise, et si les conditions suivantes sont d’autorité, de compétences, et de moyens sont remplies. Depuis un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mars 1993 (n°91-80.598), le manager délégataire doit disposer de toute la compétence requise par les responsabilités qu'il doit assumer et d'une réelle autonomie dans son travail, ce qui suppose des moyens budgétaires adaptés, mais aussi l'absence d'immixtion du délégant dans son périmètre. En matière d'HSE, la jurisprudence semble exiger que le délégataire dispose d'une liberté plus grande pour engager les budgets indispensables à sa mission. Par ailleurs, le délégataire doit être formé et informé quant à la nature pénale des risques attachés aux fonctions déléguées. En cas d'absence de l'une de ces conditions, c'est la responsabilité du primo délégant qui sera retenue, en aucun cas celle du délégataire.
Concernant l’autorité, cela signifie que le délégataire possède le pouvoir hiérarchique de faire respecter la réglementation applicable à l’activité déléguée. On le vérifie par le pouvoir qu’il a de donner des ordres, utiliser des sanctions disciplinaires éventuellement. Cela découle souvent de son statut (cadre, manager). L’indépendance est très importante pour apprécier la validité de la condition de l’autorité.
Disposer des moyens suffisants signifie d’avoir les moyens juridiques, humains, techniques, financiers suffisants pour exercer la délégation de pouvoirs reçue.

Par ailleurs, il doit exister un rapport de subordination hiérarchique entre le délégant et le déléga-taire. Il est important que la délégation soit précise et limitée dans son champ et dans le temps, qu’elle ne concerner qu’un secteur des fonctions et/ou des missions déterminés, et qu’elle soit permanente. L’absence de caractère nominatif n’empêche pas la délégation d’être valide. Elle peut même être implicite si elle est conférée à un cadre dirigeant de l’entreprise.
Malgré toute ces conditions très précises de validité, la jurisprudence ne s’est toujours pas pronon-cée sur le fait de savoir si l’acceptation du délégataire est une condition de validité ou non.
En revanche, il est impératif d’informer le délégataire du contenu de la délégation (nature des pouvoirs transférés, objet et étendue de la mission dont il est chargé, réglementation applicable…), et de ses obligations et de la responsabilité pénale qu’il encourt éventuellement.

Attention, la délégation de pouvoirs ne transfère que la responsabilité pénale, et pas la responsabilité civile.


2) L'exception : le non transfert de la responsabilité pénale

Depuis un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 2 février 1993 (n°92-80.672), la délégation de pouvoirs ne sera pas valable, et la responsabilité restera sur les épaules du diri-geant s'il existe une trop longue chaine de délégations de pouvoirs car le dirigeant délèguerait tout ses pouvoirs, ce qui viderait de son sens sa fonction. Cependant, la délégation en cascade est possible à condition que le premier délégant ait prévu cette subdélégation.
Concernant la délégation qui divise les pouvoirs entre plusieurs salariés d'un même secteur de l’entreprise, elle est possible à condition qu'elle ne soit « ni de nature à restreindre l’autorité des délégataires ni à entraver les initiatives de chacun d’eux » selon la formule de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 6 juin 1989 (n°88-82266).
Rappelons que la délégation de pouvoirs ne transfert pas la responsabilité civile, mais uniquement la responsabilité pénale. Au titre de la responsabilité civile, le chef d’entreprise reste responsable au titre de l’article L.4741-7 du Code du travail.

Dans un arrêt important de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 20 septembre 2011 (n°10-88.653), concernant un accident de travail, les juges du fond ont précisé que le chef de chantier avait commis des manquements à certaines règles de sécurité, mais ils ne le désignent pas comme le responsable de l'absence de formation à la sécurité. Il est vrai que l'absence de formation, ou d'une formation appropriée, à la sécurité est généralement imputée à la personne morale employeur sans que soit recherché précisément l'auteur de cette abstention, ni, a fortiori, que sa qualité ne soit précisée.


B. Les pouvoirs disciplinaires du manager en cas de refus du salarié de suivre une formation à la sécurité

Le manager peut être donc être pénalement responsable du défaut de formation à la sécurité de son agent. Mais on le sait, le management se heurte parfois aux réticences des salariés. Dès lors, quels sont les moyens d’action juridiques dont dispose le manageur pour s’assurer de la présence de son agent à la formation pour laquelle il est inscrit ?

L’employeur peut imposer au salarié le suivi d’une formation grâce à son pouvoir disciplinaire et/ou au pouvoir de direction. C’est l’exécution pure de son contrat de travail dont l’employeur peut fixer les conditions sans demander son accord ou son avis. Pour un salarié, refuser de suivre un stage pendant son temps de travail revient à refuser d’exécuter sa mission professionnelle, ce qui peut constituer une rupture du contrat de travail imputable au salarié. En cas de refus du salarié de réaliser la formation, l’employeur peut faire usage de son pouvoir disciplinaire avec les sanctions habituelles (avertissement, blâme, mise à pied, licenciement avec ou sans préavis etc).
La jurisprudence est constante en a matière : est fondé sur une cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié qui refuse sans motif légitime de suivre une formation sécurité.
Ce n’est pas au salarié de décider du bienfondé des objectifs, de la légitimité du contenu d’une formation pour justifier d’un refus de suivre une formation. Le salarié ne peut pas donc pas refuser une formation sauf si la formation ne rentre pas dans le cadre de son contrat de travail ou qu’il a été reconnu inapte à exercer les taches que l’employeur veut lui confier.




II. La responsabilité civile et pénale du manageur en cas de défaut de formation à la sécurité



A. Le contenu de l’obligation de formation

Deux grandes obligations incombent à l'employeur. Il a l'obligation de dispenser les formations et informations à la sécurité qui sont d’une part nécessaires, et d’autre part, adaptées.
Même si aucun accident n'a eu lieu, le simple fait d'enfreindre les dispositions du Code du travail permet de sanctionner pénalement l'employeur au titre du Code du travail. Selon l'article L. 4741-1 du Code du travail, en cas d'infraction à son obligation générale de formation à la sécurité, le chef d'entreprise est passible d'une amende de 3 750 euros, appliquée autant de fois qu'il y a de salariés concernés par l'infraction.
Si, à la suite d'un accident du travail, il est établi que l'absence de formation à la sécurité a été l'une des causes de l'accident, l'employeur peut être poursuivi pour infraction à la législation sur la formation des salariés et homicide ou blessures involontaires selon l'ampleur du dommage. Au regard de la jurisprudence, parmi les négligences fautives souvent reprochées à des chefs d'entre-prise, figure le fait de ne pas avoir délivré une formation suffisante à la victime de l'accident, ainsi que l'exige l'article R. 4141-13 du Code du travail.
En cas d'accident, l'employeur doit donc, dans un premier temps, justifier qu'il a effectivement dispensé une formation à la sécurité. A défaut, si un accident survient dans l'entreprise et qu'il est prouvé qu'il est dû à l'absence de formation du salarié nouvellement embauché, l'employeur sera condamné.
Cette carence, à l'origine de l'accident, entraînait donc la responsabilité pénale de l'employeur (Cass. crim., 27 nov. 2001, no 00-86.239). Il faut noter que le simple fait d'établir un document signé par la personne formée attestant avoir reçu cette formation (registre formation, fiche formation, etc.) ne dégage pas le chef d'entreprise de sa responsabilité en cas d'accident du travail, mais lui permet tout de même de justifier de la réalisation de cette formation.
Dans un deuxième temps, s'il est établi que la formation a bien été dispensée, l'employeur devra justifier que la formation dispensée est adaptée et suffisante.
Dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 mars 2002 (n° 01-84.284), la responsabilité de l'employeur pour homicide involontaire a été retenue, pour défaut de formation. Un ouvrier est décédé, la structure métallique dans laquelle il travaillé s'est effondrée. Pourtant, les ouvriers embauchés pour un chantier avaient suivi une formation de deux jours. Les experts judiciaires ont retenu une totale insuffisance de sensibilisation des ouvriers sur les règles de sécurité au regard de la complexité et de la technicité de l'ouvrage et des risques auxquels ces ouvriers non qualifiés étaient soumis.



B. Les sanctions civiles et le régime de la faute inexcusable

Sur le plan civil, les applications de la responsabilité sont différents.
En principe, c’est l’employeur qui est responsable au titre de l’obligation de sécurité de résultat de l’article ??? du Code du travail. En matière de sécurité au travail, la jurisprudence a bâti le régime de la faute inexcusable de l’employeur, qui sera retenue en cas de survenance d’un accident du travail dont la cause est liée à l’absence de formation à la sécurité. Les éléments constitutifs sont la conscience du danger et l’absence de mise en place des mesures nécessaires pour prévenir l’accident.
Ainsi, la faute inexcusable de l’employeur sera systématiquement présumée établie pour un salarié sous contrat à durée déterminée, un intérimaire ou un stagiaire en entreprise victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, alors qu'affecté à un poste de travail présentant des risques particuliers il n'a pas bénéficié de la formation renforcée à la sécurité.
La jurisprudence est sévère à l’égard de l’employeur en cas de manquement à ses obligations de formation et d’information (pas de formation ou formation insuffisante). Elles sont généralement considérées comme ayant été l’élément le plus déterminant dans la réalisation de l’accident alors même que le salarié a commis une faute ou une imprudence. Les tribunaux retiennent assez facilement la faute inexcusable de l’employeur.
Par exemple, la jurisprudence a retenue la responsabilité de l’employeur pour l’accident d’un salarié en CDD en tant que régleur, victime d’un accident du travail du à une machine à fraiser manœuvrée en marche arrière par son conducteur.


C. Les sanctions pénales

L’article L.4741-1 du Code du travail, la personne retenue responsable, que ce soit l’employeur ou le manager, qui a manqué à son obligation de formation et d’information devra payer une amende de 3750 euros. L’amende sera applique autant de fois qu’il y a de salariés concernés par l’infraction. En cas de récidive, l’amende est majorée à 9000 euros d’amende et un an de prison. De plus, si l’absence de formation est l’une des causes de l’accident de travail, le responsable s’expose à la commission de délit comme celui de mise en danger de la vie d’autrui (223-1 C. Pénal) ou d’homicide involontaire (221-6 C. Pénal)
A titre d’exemple très parlant, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 2 mai 1986 qu’est coupable d’homicide involontaire l’employeur dont le salarié qui n’a jamais reçu de formation, a été électrocuté par l’intermédiaire d’un jet d’eau qu’il utilisait pour nettoyer son camion à proximité d’une ligne électrique.
De même, un employeur a pu être condamné, à la suite d'un accident mortel où un ouvrier avait été écrasé par une presse à démouler, alors qu'il se trouvait dans la partie inférieure de la machine en fonctionnement pour remédier à une difficulté. Hormis le défaut de conformité de la machine, les juges retiennent, pour condamner l'employeur, que la victime n'avait pas reçu les consignes appropriées sur le fonctionnement de la presse, sur les risques encourus, sur les consignes de sécurité et sur la conduite à tenir en cas d'accident. Autant dire que la formation à la sécurité n'avait pas été assurée.

Pour conclure, l’entreprise doit avoir conscience de l’importance de délivrer -et de bien délivrer- l’obligation de formation et d’information à l’ensemble de son personnel.