Quelles sont les conséquences envisageables en France (I) et en Italie (II) en cas de mauvaise information environnementale ?



I. Les mises en responsabilité en cas de mauvaise information environnementale en France


Serait-il possible d’engager la responsabilité de la personne morale, de ses dirigeants (A) ou de ses associés (B) ?


A. L’engagement de la responsabilité des dirigeants ?

En cas d’information environnementale fausse, incorrecte, insuffisante ou absente, aucune sanction ne semble prévue par le régime juridique français. Malgré le fait qu’il existe désormais une obligation de reporting environnemental pour les sociétés, aucune mise en responsabilité de la société de manière directe en tant que personne morale n’est en effet prévue dans ce cas.

Dès lors, si la responsabilité de la personne morale ne peut pas être engagée en cas de mauvaise information environnementale, peut-on engager la responsabilité de ses dirigeants ? On verra qu’en droit français des actions peuvent être engagées à leur encontre dans le but de restaurer la véracité d’une information falsifiée ou d’exiger la production d’éléments d’information non communiqués, mais une mise en responsabilité à proprement dit reste exceptionnelle.

Pour pallier l’absence de sanction en cas de défaillance dans l’information environnementale, il faut agir à l’encontre du conseil d’administration ou du directoire de la société. Dès lors, restent en application les dispositions de deux premiers alinéas de l’article L. 225-102 du Code de commerce, qui disposent que : « Lorsque le rapport annuel ne comprend pas les mentions prévues au premier alinéa, toute personne intéressée peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte au conseil d’administration ou au directoire, selon le cas, de communiquer ces informations. Lorsqu’il est fait droit à la demande, l’astreinte et les frais de procédure sont à la charge des administrateurs ou des membres du directoire, selon le cas ».

Ensuite, en cas d’absence d’information environnementale, les associés peuvent recourir à la procédure d’injonction de faire de l’article L. 238-1 du Code de commerce établie par la loi NRE du 15 mai 2001 qui dispose que : « Lorsque les personnes intéressées ne peuvent obtenir la production, la communication ou la transmission des documents visés aux articles […], elles peuvent demander au président du tribunal statuant en référé soit d’enjoindre sous astreinte au liquidateur ou aux administrateurs, gérants, et dirigeants de les communiquer, soit de désigner un mandataire chargé de procéder à cette communication. ». Reste que l’intérêt à agir de l’associé en matière environnementale ne sera pas facile à démontrer.

Il pourrait aussi être possible de poser au dirigeant des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion en application de l’article L. 225-231 du Code de commerce, concernant les sociétés anonymes, lequel dispose que : « Une association répondant aux conditions fixées à l’article L. 225-120, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du président du conseil d’administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l’intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes. A défaut de réponse dans un délai d’un mois ou à défaut de communication d’éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion ». Ces démarches supposent toutefois que l’information environnementale soit assimilable à une opération de gestion.

On regrette le retrait de l’amendement déposé par Mme DIDIER sur la possibilité de saisine du juge lorsque le rapport annuel « comporte des informations inexactes ; trompeuses ou de nature à induire en erreur », qui aurait pu simplifier les procédures en permettant au juge d’enjoindre aux rédacteurs de corriger ou de retirer l’information inexacte ou trompeuse.

En jurisprudence pour l’instant, aucun exemple n’est donné s’agissant de la responsabilité pour non diffusion d’information environnementale ou de diffusion d’information environnementale erronée. Il faut donc se reporter au défaut d’information simple. A ce sujet on pourrait se référer à une faute de gestion de la part des administrateurs ou des dirigeants de la société. L’article L. 225-254 du Code de commerce dispose que : « Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage. ». Dès lors, s’il on envisage l’obligation d’information environnementale, comme dans l’hypothèse précédente, en tant qu’une opération de gestion, il serait alors possible d’engager la responsabilité des dirigeants d’une société en cas de mauvaise diffusion ou d’absence de diffusion de l’information environnementale dans son rapport de gestion. Cette obligation d’information environnementale saura d’autant plus grande lorsque l’objet social même de la société regardera directement l’environnement.

Cette action en responsabilité vis-à-vis des dirigeants sera invoquée sans doute par les associés dont les investissements auraient pu être trompés en cas de mauvaise ou d’absence d’information.

Sur ce point, on peut citer un arrêt de la Chambre commerciale du 9 mars 2010, dans le cadre duquel, la Cour de cassation reconnaît un préjudice personnel aux actionnaires en raison de la faute de leurs dirigeants. En l’espèce, une centaine d’actionnaires agit en justice contre la rétention d’information, la fausse information et la présentation de comptes inexacts par des dirigeants. Le préjudice personnel reconnu aux actionnaires justifie alors leur indemnisation par les dirigeants. Sur cette espèce on pourrait établir un parallèle avec la rétention ou la falsification d’information environnementale en envisageant la possible responsabilité des dirigeants de la société sur ce motif. Le préjudice, et corollairement son indemnisation, s’établit alors sur « la perte d’une chance d’investir ses capitaux dans un autre placement ou de renoncer à celui déjà réalisé ». L’administrateur doit avoir établi la preuve d’une faute de l’administrateur et fait état « d’un préjudice personnel, distinct de celui subi par la personne morale ». Dans le même esprit, on pourrait aussi agir en responsabilité contre les dirigeants pour délit de publicité trompeuse ou pour mauvaise foi. Outre l’actionnaire, pour le tiers en revanche, il sera beaucoup plus difficile d’engager la responsabilité des dirigeants sur ce point car la jurisprudence exige de lui qu’il prouve « une faute intentionnelle d’une particulière gravité et incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales ».

Dans l’espèce, les commissaires aux comptes avaient émis des réserves sur le contenu des comptes de la société. La Cour d’appel a déclaré que « les administrateurs, qui doivent débattre de toutes les difficultés portées à leur connaissance, ce qui était le cas des réserves des commissaires aux comptes, ne sauraient arguer de ce qu’ils n’avaient pas connaissance du caractère trompeur tant des comptes que de leur communiqué ». Ainsi seule la prise en compte par les administrateurs des réserves des commissaires aux comptes dans les faits pourrait les décharger de leur responsabilité. Toutefois, sur ce point, on peut douter des possibilités de réserves émises par les commissaires aux comptes sur l’information environnement en raison de sa complexité.

Dans le même registre, l’arrêt Crédit Martiniquais de la Chambre commerciale du 30 mars 2010, permet à l’administrateur de s’exonérer individuellement de sa responsabilité s’il prouve « qu’il s’est comporté en administrateur prudent et diligent, notamment en s’opposant à cette décision ». En l’espèce, la responsabilité des dirigeants fut retenue en raison d’une insuffisance notable de provisions pour la couverture d’un risque pour la société. Dès lors les actionnaires auraient dû prouver ne pas avoir participé à cette décision pour être exonérés de leur propre responsabilité.

La responsabilité des membres du conseil d’administration pourrait aussi être engagée par le biais d’une action collective des associés s’agissant de leur intérêt social commun dans la société. Par exemple, si une décision du conseil d’administration heurte l’intérêt pécuniaire de plusieurs associés, engendrant notamment une inégalité entre actionnaires, ceux-ci pourraient agir à l’encontre des administrateurs pour abus de minorité ou d’égalité, dans le sens où « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés » selon l’article 1833 du code civil. En revanche, ici, on peut craindre que de nombreuses décisions du conseil d’administration relatives à l’environnement puissent aller à l’encontre de l’intérêt commun des associés. Il ne faudrait alors pas que leur action commune puisse disqualifier une décision prise en faveur de la protection de l’environnement.


B. L’engagement de la responsabilité des associés ?

Outre la responsabilité des dirigeants, celle des associés pourrait-elle être engagée ? Cela semble moins probable car l’esprit de notre droit des sociétés va davantage en sa protection afin de garantir la liberté d’entreprise et l’investissement. Toutefois, un arrêt de la Chambre commerciale du 27 janvier 2009 peut nous en faire douter. En l’espèce, la Cour de cassation a dit que le principe selon lequel le cédant d’actions voit son obligation d’information allégée par rapport à un autre vendeur, ne s’applique pas en cas de « circonstances particulières ». Dès lors que des circonstances particulières entrent en jeu, l’associé cédant ses actions, qui aurait allégé son devoir d’information, se verrait quand même engager sa responsabilité pour cause de « circonstances particulières ». Reste à savoir ce que le juge entend pas « circonstances particulières », mais on est en droit de penser que le manque de transparence sur l’information environnementale puisse rentrer dans le cadre de ces circonstances particulières. D’autant qu’en l’espèce, il s’agissait de la rétention d’information concernant le passif environnemental lourd de la société.

Reste désormais à la jurisprudence de faire œuvre en la matière pour établir les bases d’une possible responsabilité des dirigeants de société, voire d’autres de ses acteurs, ou de la société elle-même, en matière de transparence de l’information environnementale.

Enfin, outre le rapport de gestion annuel d’une société, d’autres moyens de diffusion de l’information environnementale sont bien sûr en application tant en France qu’en Italie. Il s’agit notamment des certifications et des codes de bonne conduite. Toutefois n’ayant pas de caractère contraignant, il n’est pas nécessaire d’y revenir précisément car aucune responsabilité de la société ne pourra alors être engagée si elles ne sont pas correctement appliquées, voire inexistantes.



Quid de l’ordonnancement juridique italien (II) ?



II. Les mises en responsabilité en cas de mauvaise information environnementale en Italie


En Italie, aucune obligation de loi n’impose le reporting environnemental dans les rapports de gestion des sociétés comme en France. Cette absence conduit logiquement à l’absence de sanction. Quand bien même les sociétés exerçant des activités dangereuses devant soumettre à l’administration les conséquences environnementales de leur activité ne le feraient pas, aucune sanction n’est prévue non plus dans ce cas.

Toutefois, l’information environnementale des entreprises doit être inscrite dans les « Modelli di organizzazione e gestione delle ente », c’est-à-dire dans les systèmes d’organisation et de gestion. Sur cette notion « d’ente » que l’on pourrait traduire comme « entités », la jurisprudence italienne est intervenue pour préciser cette qualification : les entreprises individuelles doivent se retenir comprises dans les destinataires du décret législatif n. 231 du 8 juin 2001, ainsi que les sociétés-mères. Plus précisément, la Cour de cassation a affirmé qu’il n’y a aucun doute s’agissant de l’application de cette norme aux Sociétés A Responsabilité Limitée (Cass. pen., sez. III, 20 aprile 2011). Par extension son application s’étend à tous les types de sociétés.

Le modèle d’organisation et de gestion des sociétés italienne est un document contenant des règles de bonnes conduites, qui décrivent le comportement à adopter par la société dans son activité, dont l’objectif est d’empêcher la réalisation d’un délit. Il s’agit d’un complexe de règles préventives définies à l’article 6 du décret législatif n. 231 de 2001 et par le juge (Gip Tribunale Milano, 9 novembre 2004).

Ces documents comprennent en grande majorité des normes techniques en matière de protection de la santé ou de sécurité au travail, mais c’est dans leur catégorie que se retrouveront aussi les informations liées à l’environnement comme l’adoption de certifications environnementales. Les informations contenues dans ces documents doivent être obligatoirement transmises à l’administration, laquelle doit les rendre publique afin de garantir l’accès à l’information du citoyen (garantie par la loi n. 142 de 1990, alliée à la loi instituant le Ministère de l’environnement de 1986, garantissent le droit d’accès à l’information du citoyen par l’administration).

De là peut alors se dégager la mise en responsabilité de la société qui n’aura pas divulgué les informations contenues dans son modèle d’organisation et de gestion. Ce régime de responsabilité sera administratif puisqu’il sera l’œuvre d’un recours de l’administration contre la société qui ne lui aurait pas transmis les informations exigées.



Finalement, on constate que le système législatif français en matière de transparence environnementale est en grande partie lié au volontariat des sociétés. Même lorsque des obligations particulières sont imposées, la société peut facilement s’exonérer de sa responsabilité en cas de mauvaise application de son obligation. Il en est de même de ses dirigeants dont les éventuelles mises en responsabilité restent pour l’instant incertaines, aucune application jurisprudentielle concrète en matière environnementale n’ayant été faite.

Ainsi l’ensemble de la doctrine semble d’accord sur la timidité du législateur en matière de transparence environnementale. D’autant que l’information ne signifie pas forcément l’engagement réel : « la loi Grenelle II manie de concert le volontaire et l’obligatoire, mais il ne faudrait pas cependant que la transparence vienne occulter les actes réels. Ce n’est pas parce que l’on s’informe que l’on s’engage » (Françoise Le Fichant).

On serait tenté d’ajouter que trop d’information pourrait la disqualifier dans un contexte juridique où les obligations en matière environnementale sont éparpillées dans les différentes disciplines juridiques, manquant encore d’unité, notamment aux regards du droit privé.

La loi Grenelle II a fait un pas en avant, certes, mais il y a encore des progrès à faire. Dans un contexte actuel de crise économique tel qu’on le vit aujourd’hui, les préoccupations environnementales risquent d’être laissées de côté. On compte donc à nouveau sur l’audace du juge pour impulser l’action législative.

La discipline italienne en matière d’information environnementale, quant à elle, n’apparaît pas non plus autonome en ce qu’elle s’insère dans la discipline plus générale des systèmes d’organisation et de gestion de la société. Les mises en responsabilité se différencient de celles envisageables dans le régime français car s’applique davantage un système de responsabilité administrative en cas de manquement à l’obligation d’information de l’administration. Dès lors, la France semble malgré tout avoir un temps d’avance en ayant consacré une obligation d’information dans les rapports internes des sociétés.