Le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 16 janvier 2008 à la suite du naufrage de l’Erika interpelle en France par l’ampleur de la condamnation à 192 millions d’euros qui a été infligée à la société TOTAL SA et à la société de classification RINA, outre des amendes pénales fixées à leur montant maximum. Sans doute peut-il être analysé comme une première application de la Charte de l’environnement qui a été adossée à la Constitution depuis 2005, selon laquelle « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement ». En toute hypothèse, il démontre que le droit commun de la responsabilité civile tel qu’il est appliqué par les juges comble opportunément les lacunes des régimes spéciaux tels que le FIPOL. A cet égard, il apparaît historique et dissuasif.

Pour autant, il ne constitue pas une première comme cela a été dit. Depuis les années 1980, plusieurs décisions notamment dans une autre affaire de pollution maritime dites des « boues rouges » à Bastia avaient déjà accordé des indemnités sous l’habillage d’un préjudice moral ou d’une atteinte à la réputation. Dans la continuité de cette jurisprudence, la majorité des victimes de l’Erika sont déboutées de leurs prétentions à obtenir la réparation d’un préjudice écologique pur. Seules la région Morbihan et la Ligue de protection des oiseaux se voient reconnaître un tel préjudice. Ce qui n’est nullement une première puisque le Tribunal de Grande instance de Narbonne avait déjà statué dans le même sens par un jugement du 4 octobre 2007, au profit d’un parc naturel régional victime d’une pollution par insecticides compte tenu de sa mission légale de protection de la nature et en l’état des dommages causés au patrimoine naturel compris dans son périmètre. Il convient d’observer que pas une seule des communes victimes y compris celles situées sur la partie du littoral la plus touchée par la pollution, pas plus que l’Etat ne se voit reconnaître un préjudice écologique pur sur son territoire !

A la suite de ce jugement, la question se pose de savoir si la reconnaissance du préjudice écologique est acquise.

La consécration d’un préjudice écologique pur demeure en effet incertaine pour diverses raisons : outre le traditionnel obstacle de la causalité entre le fait générateur et le dommage qui ne se posait pas en l’espèce, nul ne sait qui peut s’en prétendre créancier. Elle échappe ensuite à toute possibilité d’une évaluation objective, ce qui en abandonne la détermination à l’arbitraire du juge et l’exclut largement de la couverture par les assurances. Enfin et surtout, la distinction entre dommage économique et écologique paraît de plus en plus incertaine tant il est vrai que la qualité de l’environnement est devenue aujourd’hui un véritable actif économique.

Certaines collectivités auraient intérêt à faire appel concernant par exemple les modalités de calcul du préjudice ?

D’un côté, les sommes tout à fait considérables qui ont accordées en réparation d’un préjudice moral ou d’une atteinte à la réputation, par exemple 5 575 000 € au profit de la seule région Bretagne, sont abandonnées au pouvoir souverain du juge. De l’autre, elles s’apparentent visiblement à des dommages et intérêts punitifs accordés en considération de la gravité de la faute commise tels qu’ils sont connus depuis longtemps aux Etats-Unis mais que notre droit ne reconnaît pas, et pour compenser un dommage écologique pur juridiquement très incertain. Le sort d’un éventuel appel n’est donc guère prévisible pour les victimes comme pour les responsables. Celui-ci aurait néanmoins l’avantage de dissiper les incertitudes quant à la notion de préjudice écologique pur, pour savoir notamment si ne peuvent s’en prévaloir que les collectivités ayant reçu mission légale de protéger l’environnement sur leur territoire, telle qu’un parc naturel régional, ou si son bénéfice doit être étendu par exemple à toute association agréée qui aurait introduit cette protection dans son objet statutaire, avec une vocation géographique universelle et non plus limitée à un territoire déterminé.